Notion et rôle de la réception de l’ouvrage en droit de la construction
La réception joue un rôle fondamental, en ce qu’elle subordonne la mise en œuvre des garanties spéciales dont les locateurs d’ouvrage sont débiteurs, ainsi que le déclenchement des garanties d’assurance obligatoires.
Définie comme « l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves » (C. civ., art. 1792-6), la réception de l’ouvrage peut s’opérer selon diverses modalités (I). Quelles qu’en soient les formes, la réception produit des effets majeurs, puisque, d’une part, elle emporte « purge » des désordres apparents et non réservés, d’autre part, elle marque le point de départ des garanties qui s’offrent au maître de l’ouvrage atteint de désordres (II).
I. Formes de la réception
L’article 1792-6 du Code civil énonce que la réception « intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l’amiable, soit à défaut judiciairement [et qu’elle] est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement ». Le texte pose ainsi le principe de la réception amiable (A), à laquelle peut se substituer, le cas échéant, une réception judiciaire (B).
A. Réception amiable
La réception amiable peut emprunter trois formes distinctes
1°. Réception amiable suivant des modalités conventionnelles
Le maître et les locateurs d’ouvrage sont libres, lors de la conclusion du contrat qui les lie ou ultérieurement, de déterminer conventionnellement les modalités de la réception. Est ainsi valide, par exemple, la clause qui prévoit que l’occupation des lieux vaudra réception définitive et sans réserve (Cass. 3e civ., 4 nov. 1992, n°91-10076 : Bull. civ. III, n° 284 ; RD imm. 1992, p. 80, note Ph. Malinvaud. Cass. 3e civ., 13 juill. 1993, n°91-13027). Le plus souvent, les parties usent de leur liberté contractuelle pour imposer expressément la rédaction d’un procès-verbal de réception, ce qui prive implicitement les acteurs de la construction de la possibilité de se prévaloir d’une réception tacite.
2°. Réception expresse selon les modalités légales
En l’absence de stipulation contractuelle déterminant les modalités de la réception, la réception expresse de l’ouvrage est légalement acquise par la rédaction d’un procès-verbal manifestant la volonté du maître de l’ouvrage d’accepter celui-ci avec ou sans réserves.
Il en résulte qu’un procès-verbal rédigé par les seuls constructeurs et ne comportant pas la signature du maître de l’ouvrage ne peut valoir réception (Cass. 3e civ., 20 nov. 1996, n°94-19525).
La réception devant impérativement « être prononcée contradictoirement » (C. civ., art. 1792-6), il appartient, en cas de litige, au maître de l’ouvrage (ou à celui qui se prévaut d’une réception expresse) de prouver qu’elle a eu lieu au su des constructeurs.
Cette preuve est parfaitement rapportée par la production d’un procès-verbal signé par ces derniers (Cass. 3e civ., 21 juin 2000, n°98-21630).
A défaut de signature du PV, le caractère contradictoire peut être établi par la preuve de la présence du constructeur lors de la réception (Cass. 3e civ., 12 janv. 2011, n°09-70262 : Bull. civ. III, n°3 ; RD imm. 2011, p. 220, obs. B. Boubli).
Il est également admis que le caractère contradictoire est respecté, bien que le PV de réception ait été rédigé hors la présence du constructeur, dès lors que ce dernier a été dument convoqué aux opérations de réception (Cass. 3e civ., 3 juin 2015, n°14-17744 : Bull. civ. III, n°53. Cass. 3e civ., 12 avr. 2018, n°17-15188. Cass. 3e civ., 7 mars 2019, n°18-12221).
En l’absence de convocation, la réception est en revanche strictement inopposable au constructeur absent et non convoqué, de sorte qu’elle est réputée à son égard n’avoir pas eu lieu. Un arrêt récent le rappelle avec la plus grande fermeté en estimant que la réception actée par la signature d’un PV signé du maître de l’ouvrage et du maître d’œuvre, non seulement est inopposable au constructeur non convoqué, mais encore que cette irrégularité de la réception expresse interdit aux intéressés de se prévaloir, à l’encontre du constructeur absent, d’une prétendue réception tacite, pareille prétention ne visant qu’à « à contourner l’exigence du respect du contradictoire » (Cass. 3e civ., 20 oct. 2021, n°20-20428 : RGDA nov. 2021, p. 22, note P. Dessuet).
3° Réception tacite
En l’absence de réception expresse (selon les modalités conventionnelles ou légales), la réception peut néanmoins être considérée comme acquise lorsqu’est établie la volonté non équivoque, quoique seulement tacitement exprimée, du maître de l’ouvrage d’accepter celui-ci. Selon une jurisprudence constante, caractérise une volonté non-équivoque emportant réception tacite de l’ouvrage, la prise de possession des lieux par le maître de l’ouvrage dès lors que celle-ci est accompagnée du paiement de la totalité (ou quasi-totalité) du prix des travaux (v., en dernier lieu, Cass. 3e civ., 30 janv. 2019, n°18-10197 : D. 2019, p. 1269, note M. Storck ; Cass. 3e civ., 18 avr. 2019, n°18-13734 : RD imm. 2019, p. 336, obs. B. Boubli).
B. Réception judiciaire
Lorsque l’une des parties au contrat de louage d’ouvrage s’oppose à la réception amiable, l’autre partie peut saisir le juge en vue d’obtenir le prononcé d’une réception judiciaire. Cette dernière est subordonnée à la condition que l’ouvrage concerné soit « en état d’être reçu » (v., par ex., Cass. 3e civ., 30 juin 1993, n°91-18696 : Bull. civ. III, n°103. Cass. 3e civ., 12 oct. 2017, n°15-27802 : RD imm. 2018, p. 31, obs. B. Boubli), ce qui suppose qu’il puisse être « mis en service » (v., à propos d’un bâtiment à usage de garage, Cass. 3e civ., 11 janv. 2012, n°10-26.898 : Resp. civ. et assur. 2012, comm. 115) ou qu’il soit « en état d’être habité » (Cass. 3e civ., 21 mai 2003, n° 02-10052 : Bull. civ. III, n°105).
II. Conséquences de la réception
La réception, avec ou sans réserves, met fin au contrat d’entreprise. Elle emporte deux effets majeurs : elle interdit toute action en responsabilité contre les constructeurs visant à la réparation des désordres apparents et non-réservés au jour où elle intervient (A) et marque le point de départ des garanties spéciales dont les constructeurs et leurs assureurs sont débiteurs à l’égard du maître de l’ouvrage (B).
A. Irrecevabilité des actions en réparation des désordres apparents et non-réservés
Les désordres apparents qui n’ont pas fait l’objet de réserves lors de la réception ne peuvent donner lieu à aucune action en réparation, que celle-ci soit fondée sur le droit commun ou sur le régime spécial des garanties des constructeurs. La réception opère ainsi un effet « de purge » des désordres et défauts de conformité apparents et non-réservés (Cass. 3e civ., 9 oct. 1991, n°87-18226 : Bull. civ. III, n°231. Cass. 3e civ., 4 nov. 1999, n°98-11310 Bull. civ. III, n°210).
Un désordre est considéré comme « apparent » lorsqu’il est visible au moment des opérations de réception, étant entendu, d’une part, que le caractère apparent ou caché du désordre doit s’apprécier au regard des seules compétences personnelles du maître de l’ouvrage et de sa capacité à constater l’existence du désordre litigieux (Cass. 3e civ., 17 nov. 1993, n°92-11026 : Bull. civ. III, n°146. Cass. 3e civ., 10 nov. 2016, n°15-24379), étant entendu, d’autre part, que n’est pas apparent, un désordre qui ne se révèle dans son ampleur et ses conséquences que postérieurement à la réception (Cass. 3e civ., 12 oct. 1994, n°92-16533 : Bull. civ. III, n° 172. Cass. 3e civ., 12 févr. 1997, n°95-12147 : RD imm. 1997, p. 239, note Ph. Malinvaud. Cass. 3e civ., 22 oct. 2002, n°01-11320. Cass. 3e civ., 20 déc. 2018, n°17-26523 : Resp. civ. et assur. mars 2019, comm. 74).
B. Prise d’effet des garanties légales des constructeurs et des garanties d’assurance obligatoires
Les constructeurs ne sont débiteurs des garanties spéciales prévues par les articles 1792 et suivants du Code civil qu’à compter du jour où l’ouvrage a été réceptionné. Il a ainsi été jugé qu’en l’absence de réception la garantie décennale ne s’applique pas (Cass. 3e civ., 12 janv. 1982, n°80-12094 : Bull. civ. III, n°8. Cass. 3e civ., 27 févr. 2013, n°12-12148 : Bull. civ. III, n°29).
S’agissant des garanties d’assurance obligatoires, la réception de l’ouvrage conditionne pareillement la possibilité de solliciter la prise en charge du sinistre par l’assureur de responsabilité décennale (C. ass., art. A. 243, Annexe I).
En revanche, la garantie due par l’assureur dommages-ouvrage, laquelle prend effet en principe à l’expiration du délai de la garantie de parfait achèvement, peut être mise en œuvre avant la réception lorsque, après mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d’ouvrage conclu avec l’entrepreneur est résilié pour inexécution, par celui-ci, de ses obligations (C. ass., art. A. 243, Annexe II).
La réception marque également le point de départ du délai pour agir en réparation contre les constructeurs. Les actions visant à la mise en œuvre de la garantie de parfait achèvement (C. civ., art. 1792-6), de la garantie de bon fonctionnement (C. civ., art. 1792-3) et de la garantie décennale (C. civ., art. 1792 et 1792-2) sont ainsi prescrites à l’expiration, respectivement, des délais de 1 an, deux ans et dix ans à compter de la réception. Pareillement, l’assureur de responsabilité décennale et l’assureur dommages-ouvrage sont libérés de leur obligation de garantie au terme du délai de dix ans suivant la réception de l’ouvrage.
Sources
https://www.bjavocat.com/2019/12/17/la-reception-dun-ouvrage-recommandations-pratiques-et-actualites/
https://api.faire.gouv.fr/sites/default/files/2021-02/F-Reception-ITE-Bardage.pdf
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/N31344