L’absence d’accident de la circulation exclut-elle la prise en charge du sinistre par l’assureur RC auto ?

            La loi (n° 85-677) du 5 juillet 1985 « tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation », dite loi Badinter, a mis en place un régime d’indemnisation quasi-automatique des victimes « d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres » (L. 5 juill. 1985, art. 1er)

            L’article L. 211-1 du Code des assurances énonce, quant à lui, que « toute personne physique ou toute personne morale autre que l’Etat, dont la responsabilité civile peut être engagée en raison de dommages subis par des tiers résultant d’atteintes aux personnes ou aux biens dans la réalisation desquels un véhicule est impliqué, doit, pour faire circuler celui-ci, être couverte par une assurance garantissant cette responsabilité […] ».

            Faut-il déduire de la combinaison de ces textes que l’assureur de responsabilité civile automobile couvre exclusivement les dommages causés aux tiers à l’occasion d’un accident de la circulation au sens de la loi du 5 juillet 1985 ? En d’autres termes, y a-t-il coïncidence parfaite entre le domaine de la responsabilité automobile et le champ de l’assurance obligatoire ?

            La réponse est négative. Si l’assureur RC auto est naturellement tenu de prendre en charge les dommages – causés aux tiers – engageant la responsabilité de son assuré sur le fondement de la loi Badinter (I), il est également tenu de garantir des dommages, certes causés par le véhicule (ou ses accessoires), mais résultant d’un événement autre qu’un accident de la circulation (II).

1 – La garantie des dommages résultant d’un accident de la circulation

  1. En application de l’article L. 211-1 du Code des assurances (préc.), dès lors que les dommages résultent d’un accident de la circulation, l’assureur RC auto du véhicule impliqué dans ledit accident est, en principe, tenu de les prendre en charge.

            Faute de définition légale, c’est à la jurisprudence qu’il est revenu la tâche de préciser la notion « d’accident de la circulation ». Le nombre pléthorique des arrêts rendus sur le sujet interdit d’en faire une présentation exhaustive, de sorte que l’on se contentera de quelques observations, lesquelles font apparaître la conception extensive retenue par la Cour de cassation.

  1. Véhicule en mouvement. Lorsque le véhicule impliqué dans l’accident était en mouvement, le fait de circulation, commandant l’application de la loi de 1985, est acquis, quel que soit le lieu où se déplaçait le véhicule. Relève ainsi de la loi Badinter et entre dans le champ de la garantie RC auto l’accident dans lequel est impliqué :

            – un engin de damage avançant sur une piste de ski (Grenoble, 9 févr. 1987 : D. 1987. 245, note F. Chabas) ;

            – un engin agricole se déplaçant dans un champ (tel un tracteur : Cass. 2e civ., 5 mars et 25 juin 1986 : D. 1987. somm. p. 87, obs. H. Groutel. – Cass. 2e civ., 17 déc. 1997, n° 96-12.850 : Bull. civ. II, n° 314 ; Resp. civ et assur. 1998, comm. 86. – une moissonneuse-batteuse : Cass. 2e civ., 10 mai 1991, n° 90-11.377 : Bull. civ. II, n° 137. – une pelle mécanique automotrice : Cass. 1re civ., 15 janv. 1991, n° 89-19.135 : Resp. civ et assur. 1991, comm. 123. – un giro-broyeur attelé à un tracteur : Cass. 2e civ., 31 mars 1993, n° 91-18.655 : Bull. civ. II, n° 131 ; RTD civ. 1993, p. 840, obs. P. Jourdain. – une machine agricole en mouvement : Cass. 2e civ., 19 févr. 1997, n° 95-14.279 : Bull. civ. II, no 42 ; Resp. civ et assur. 1997, comm. 197 et chron. 15, F. Leduc) ;

            – un chariot élévateur évoluant dans un lieu privé (Paris, 5 juill. 1989 : JCP 1989. II. 21384, note F. Chabas. – Cass. 2e civ, 28 oct. 1991, n° 89-17598 : Bull. civ. II, n° 288 ; Resp. civ et assur. 1992, comm. 15. – Cass. 2e civ., 25 mai 1994, n° 92-19.455 : Bull. civ. II, n° 132).

            – une automobile roulant sur la voie privée de la desserte d’un ensemble immobilier (Paris, 14 févr. 1986, Gaz. Pal.1986. 1. 304, note F. Chabas ; RTD civ. 1987, p. 327, obs. J. Huet.;

            –  une nacelle autoportée dans le hall d’un atelier d’une entreprise (Cass. crim. 15 janv. 2008, n° 07-80.800 : RTD com. 2008. 638, obs. B. Bouloc).

Nota : dès lors que l’accident s’est produit au cours du déplacement du véhicule, il sera qualifié d’accident de la circulation, au sens de la loi Badinter, alors même que le véhicule en question était utilisé comme un outil de travail. Résultent ainsi d’un accident de la circulation les dommages occasionnés par un giro-broyeur qui se déplace (Cass. 2e civ., 5 janv. 1994, n° 92-13.245), par une débrousailleuse (Cass. 2e civ., 17 déc. 1997, n° 96-12.850) et une fourche hydraulique (Cass. 2e civ., 6 juin 2002, n° 00-10.187), respectivement attelée et fixée à un tracteur en mouvement.

  1. – Véhicule momentanément immobilisé ou stationné dans un lieu ouvert à la circulation publique. La Cour de cassation a très clairement décidé que « le stationnement d’une automobile sur la voie publique est un fait de circulation au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 » (Cass. 2e civ., 22 nov. 1995, n° 93-21.221 : Bull. civ. II, n° 286 ; D. 1996. 163, 1re esp., note P. Jourdain ; JCP 1996. II. 22656, note J. Mouly ; JCP 1996. I. 3944, no 23, obs. G. Viney). Il en résulte qu’un véhicule immobilisé dans un lieu ouvert à la circulation publique (ce qui inclut notamment les parkings publics et les parcs de stationnement d’un centre commercial) demeure considéré comme « en circulation », cela, que l’immobilisation résulte d’un arrêt momentané en cours de circulation, ou qu’il s’agisse d’un stationnement (régulier ou non). C’est ainsi qu’ont été qualifiés d’accidents de la circulation : la chute d’un passager lors de sa descente d’un autobus à l’arrêt en agglomération (Cass. 2e civ., 7 juin 1989 : Bull. civ. II, n° 122 ; RTD civ. 1989, p. 764, obs. P. Jourdain. – Cass. 2e civ., 11 oct. 1989 : Bull. civ. II, n° 163) ou à l’intérieur d’un bus en arrêt prolongé sur la ligne qu’il desservait (Cass. 2eciv., 25 janv. 2001, n° 99-12.506 : Bull. civ. II, n° 14). Il en va de même de la chute d’un piéton qui s’est blessé après avoir heurté la barre de remorquage d’un véhicule en stationnement sur le parking d’un port (Cass. 2e civ., 4 mars 1987, JCP1987. IV. 164) et du heurt par la victime d’une voiture arrêtée sur le bord d’une voie urbaine (Cass. 2e civ., 25 janv. 1995, n° 92-17.164 : RTD civ. 1995, p. 382, obs. P. Jourdain. – Cass. 2e civ., 12 juin 1996, n° 94-14.600). Dans le même ordre d’idée, il a été jugé que découlaient d’un accident de la circulation les brûlures provoquées à la victime par les flammes sortant du capot d’une voiture immobilisée, à la suite d’une panne, au bord de la chaussée (Cass. 2e civ., 19 févr. 1986 : Bull. civ. II, n° 18 ; RTD civ. 1987, p. 329, obs. J. Huet) ou des blessures provoquées à la victime par la projection d’un objet transporté et d’un tendeur élastique, accessoire nécessaire au transport autorisé sur le toit d’un véhicule terrestre à moteur, lequel était en stationnement sur la voie publique, moteur arrêté (Cass. 2e civ., 20 oct. 2005, n° 04-15.418 : D. 2006. 1929, obs. P. Brun et P. Jourdain ; Resp. civ. et assur. 2005, comm. 36, H. Groutel).
  1. – Véhicule momentanément immobilisé ou stationné dans un lieu privé. Le fait que le véhicule soit immobilisé ou stationné dans un lieu privé, tel un garage, n’est pas de nature à écarter l’application de la loi du 5 juillet 1985.

            La Cour de cassation, estime que l’accident de dans lequel est impliqué un véhicule arrêté, en cours de circulation, dans un lieu privé constitue un accident de la circulation. Il en est ainsi de l’accident provoqué par un véhicule arrêté momentanément dans un parking privé, en raison d’un obstacle imposant une immobilisation de courte durée (Cass. 2eciv., 8 janv. 1992, n° 90-19.336 : Bull. civ. II, n° 3 ; RTD civ. 1992, p. 401, obs. P. Jourdain) ou par l’étincelle du moteur d’un tracteur à l’arrêt dans un champ (Cass. 2e civ., 8 nov. 1995, n° 94-10.944 : Bull. civ. II, n° 268 ; D. 1996. 163, 4e esp., note P. Jourdain).

            De même, il a été jugé que constituait un accident de la circulation au sens de la loi Badinter, celui dans lequel était impliquée une remorque en stationnement sur l’aire privée du destinataire de marchandises (Cass. 2e civ., 26 mars 1997, n° 95-14.995 : Bull. civ. II, n° 90 ; Resp. civ. et assur. 1997, chron. 15, F. Leduc ; RTD civ. 1997, p. 680, obs. P. Jourdain).

  1. – Incendie ou explosion d’un véhicule en mouvement ou momentanément immobilisé. Une jurisprudence constante admet que constitue un accident de la circulation l’incendie ou l’explosion d’un véhicule en mouvement.

            Relèvent ainsi de la loi du 5 juillet 1985 et sont couverts par l’assurance RC auto obligatoire :

            – l’incendie se déclarant dans une automobile en mouvement (sur la voie publique) et causant des blessures mortelles au passager (Cass. 2e civ., 8 janv. 1992, n° 90-19.728 : Bull. civ. II, n° 5 ; D. 1993. 375, note Y. Dagorne-Labbe ; RTD civ. 1992, p. 401, obs. P. Jourdain) ;

            – l’incendie prenant naissance dans un véhicule agricole se déplaçant dans une cour privée et se communiquant à des bâtiments (Cass. 2e civ., 5 juin 1991, n° 90-12314 : Bull. civ. II, n° 171 ; RTD civ. 1991, p. 549, obs. P. Jourdain) ;

            – l’incendie provoqué par une étincelle sortie du pot d’échappement d’un tracteur en mouvement procédant à des opérations d’ensilage (Cass. 2e civ., 21 juin 2001, n°99-15.732 : Bull. civ. II, n°122).

            La même qualification d’accident de la circulation est retenue lorsque le véhicule se trouvait « à l’arrêt », c’est-à-dire momentanément immobilisé (en raison par exemple d’une panne, d’un obstacle dans la circulation, d’un signal d’arrêt, etc.).

            Ainsi jugé que relèvent du régime de la loi de 1985 et des garanties d’assurance obligatoires :

            – l’incendie d’un véhicule s’arrêtant sur la bande d’urgence d’une autoroute (lieu ouvert à la circulation publique) et communiquant le feu aux alentours (Cass. 2e civ., 20 janv. 1993, n° 91-11.836 : Bull. civ. II, n° 18 ; D. 1994. Somm. 16, obs. J.-L. Aubert ; RTD civ. 1993. 843, obs. P. Jourdain. – Cass. 2e civ.,  3 mars 1993, n° 91-17962 : Bull. civ. II, n° 79 ; RTD civ. 1993. 840, obs. P. Jourdain) ;

            – l’incendie communiqué à un immeuble par un véhicule qui a pris feu alors qu’il était arrêté momentanément sur la voie de sortie d’un parking privé (Cass. 2e civ., 8 janv. 1992, n° 90-19143 : Bull. civ. II, n° 3 ; RTD civ. 1992, p. 401, obs. P. Jourdain).

  1. – Incendie ou explosion d’un véhicule en stationnement. Par trois arrêts en date du 22 novembre 1995, la Cour de cassation a fermement décidé que « l’incendie provoqué par un véhicule terrestre à moteur, ce dernier fût-il en stationnement, est régi par les dispositions de la loi du 5 juillet 1985, et non par celles de l’article 1384, alinéa 2, du code civil [actuel 1242] » (Cass. 2e civ., 22 nov. 1995, n° 94-10.046 : Bull. civ. II, nos 285, 286 et 287). La solution a été confirmée par un arrêt du 13 septembre 2012, lequel estime que constitue un accident de la circulation l’incendie d’un camion réfrigéré stationné sur un quai de déchargement, moteur coupé, dont le groupe froid était raccordé à l’installation électrique de l’entrepôt (Cass. 2e civ., 13 sept. 2012, n° 11-13139 : Resp. civ. et assur. déc. 2012, comm. 346, H. Groutel ; D. 2013. 40, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2012. 735, obs. P. Jourdain ).

  1. – Problème des accidents causés par un élément étranger à la fonction de déplacement du véhicule. Il se peut que l’accident survienne alors que le véhicule – arrêté – était utilisé comme un outil, afin de procéder à un travail spécifique. Peut-on encore parler d’accident de la circulation, au sens de la loi de 1985, alors le véhicule-outil était immobilisé et que seule une partie étrangère à sa fonction de déplacement est à l’origine des dommages ? La jurisprudence a répondu par la négative, ce dont il faut se garder de déduire que l’assureur RC auto ne doit pas sa garantie.

2 – La garantie des accidents causés par le véhicule « hors circulation »

  1. – Exclusion de la qualification d’accident de la circulation de certains accidents causés par les éléments étrangers à la fonction de déplacement du véhicule. On a vu précédemment que la majeure partie des accidents dans lesquels sont impliqués des engins de travail (camions, tracteurs, pelleteuses, engins de levage, etc.) sont constitutifs d’accidents de la circulation. Il en va ainsi – nécessairement – lorsque, au moment de l’accident, de l’incendie ou de l’explosion, l’engin était en mouvement (cf supra, n°s 2 et 5). La même qualification d’accident de la circulation doit être retenue lorsque le véhicule impliqué était en stationnement et non utilisé à l’accomplissement d’un quelconque travail utilitaire (cf supra, n°s 3, 4 et 6).

            En revanche, une jurisprudence constante exclut la qualification d’accident de la circulation, lorsque les deux conditions suivantes (lesquelles sont cumulatives) sont réunies :

            – l’accident, l’incendie ou l’explosion survient alors que le véhicule est immobilisé ;

            – seule une partie étrangère à la fonction de déplacement est à l’origine de l’accident causé par l’engin.

            Il est ainsi jugé que ne constituent pas des accidents de la circulation :

            – l’accident causé par la mise en marche fortuite du moteur d’une presse à paille attelée à un tracteur immobilisé (Cass. 2e civ., 3 juill. 1991, n° 89-17.169 : Bull. civ. II, n° 201) ;

            – l’accident causé par une ensileuse à maïs immobile dont seule, au moment de l’accident, la partie « machine-outil » était en fonctionnement (Cass. 2e civ., 8 janv. 1992, n° 90-19.143 : Bull. civ. II, n° 4 ; RTD civ. 1993. 840, obs. P. Jourdain ) ;

            – l’accident causé par le basculement de la benne d’un camion immobilisé pour des opérations de déchargement (Cass. 2e civ.,, 9 juin 1993, n° 91-12.452 : Bull. civ. II, n° 198 ; Resp. civ. et assur. 1993, comm. 328, H. Groutel ; RTD civ. 1993. 840, obs. P. Jourdain : cassation de la décision des juges du fond qui avaient retenu la qualification d’accident de la circulation, alors que « le véhicule étant immobile, seule une partie étrangère à sa fonction de déplacement était en cause ». Dans le même sens : Cass. 2e civ., 8 mars 2001, n° 99-13.525 , Bull. civ. II, n° 43 ; RTD civ. 2001. 607, obs. P. Jourdain : n’est pas un accident de la circulation l’accident mortel provoqué par le basculement d’une benne dès lors que « au moment de l’accident, l’ensemble routier était immobile, la benne de la remorque se levant sous l’action d’un vérin hydraulique, et […] que la benne et son appareil de levage, en activité de travail, éléments d’équipement utilitaires étrangers à la fonction de déplacement, étaient seuls en cause ») ;

            – l’accident causé par la chute d’une palette manipulée par l’appareil de levage d’un camion immobilisé pour procéder à son déchargement (Cass. 2e civ., 28 mai 2009, n° 08-16942 : Resp. civ. et assur. juill.-août 2009, comm. 226, H. Groutel. Dans le même sens : Cass. 2e civ., 21 nov. 2013, n° 12-14714 : Resp. civ. et assur. févr. 2014, comm. 70, H. Groutel) ;

            – l’accident causé par la chute d’un bloc de béton manipulé par un tracto-pelle à l’occasion du creusage d’une tranchée (Cass. 2e civ., 13 sept. 2018, n° 17-25.671 : Bull. civ. II, n°172) ;

            – l’accident causé par la vis sans fin de la trémie, « totalement indépendante de la fonction de déplacement », d’une moissonneuse-batteuse « à l’arrêt total » (Cass. 2e civ., 9 déc. 2021, n° 20-14.254 : Resp. civ. et assur. 2022, comm. 55, S. Hocquet-Berg) ;

            – l’accident causé par l’ouverture de l’auvent d’une remorque attelée à un camion-restaurant immobile (Cass. 2eciv., 8 mars 2001, n° 98-17.678 : Bull. civ. II, n° 42 ; RTD civ. 2001, p. 607, obs. P. Jourdain) ou par l’ouverture, dont la victime avait pris l’initiative, de la porte arrière d’un van stationnant dans un club hippique (Cass. 2e civ., 5 nov. 1998, n° 95-18064 : Bull. civ. II, no 256 ; D. 1999. 256, note J. Mouly).

            Ne constitue pas non plus des accidents de la circulation régis par la loi Badinter en application des mêmes critères (immobilisation du véhicule et origine des dommages étrangère à la fonction de déplacement de celui-ci) :

            – l’incendie ayant pris naissance dans un camion immobilisé au cours d’une opération de chargement de copeaux de bois (Cass. 2e civ., 23 oct. 2003, n° 02-13.989 : Bull. civ. II, n° 315. L’arrêt relève que « le véhicule se trouvait à l’arrêt [et] que le camion était utilisé exclusivement dans son activité spécifique de machine-outil, totalement étrangère à sa fonction de déplacement ») ;

            – l’explosion survenue à l’occasion du ravitaillement en gaz liquide de la cuve d’un hôtel-restaurant à partir d’un camion-citerne (Cass. 2e civ., 19 oct. 2006, n° 05-14.338 : Bull. civ. II, n° 275 ; Resp. civ. et assur. 2007, comm. 15, H. Groutel : « le camion-citerne était immobile au moment du sinistre, et […] seule était en cause la pompe servant au transvasement du gaz liquide de sa citerne vers la cuve de stockage externe, élément d’équipement utilitaire étranger à sa fonction de déplacement, ce dont il résultait que ce véhicule n’était pas impliqué dans un accident de la circulation »).

  1. – Prise en charge par l’assureur RC auto des accidents « hors circulation ». Le constat que l’accident n’est pas un accident de la circulation exclut que la responsabilité de l’assuré soit fondée sur les dispositions de la loi de 1985, mais n’exclut pas, en revanche, que l’assureur de responsabilité civile automobile soit tenu de garantir les dommages occasionnés par le véhicule assuré.

            En effet l’article R. 211-5 du Code des assurances énonce que « l’obligation d’assurance s’applique à la réparation des dommages corporels ou matériels résultant :

1° Des accidents, incendies ou explosions causés par le véhicule, les accessoires et produits servant à son utilisation, les objets et substances qu’il transporte ;

2° De la chute de ces accessoires, objets, substances ou produits ».

            Il convient de souligner que cette rédaction de l’article R. 211-5 du Code des assurances est issue du décret n°86-21 du 7 janvier 1986, lequel a amputé l’ancien alinéa 1er du texte du membre de phrase « à l’occasion de la circulation » (l’ancien article R. 211-5 stipulait en effet que « l’obligation d’assurance s’applique à la réparation des dommages corporels ou matériels résultant, à l’occasion de leur circulation… ».

            L’adoption du décret de 1986 marque la fin de la coïncidence entre le domaine de l’assurance obligatoire et celui de la loi du 5 juillet 1985. La circulation du véhicule n’étant plus une condition de la garantie d’assurance RC auto, l’assureur peut être tenu de couvrir des dommages engageant une responsabilité de droit commun fondée sur l’article 1242 du Code civil et liée à la garde du véhicule assuré.

            C’est ce qu’a admis très clairement la Cour de cassation dans un arrêt du 21 novembre 2013. En l’espèce, un salarié avait été blessé par une palette chargée, tombée du hayon situé à l’arrière d’un camion, à la suite d’une erreur de manipulation de cet appareil, alors qu’il participait dans les locaux de son employeur aux opérations de déchargement de ce véhicule. L’accident n’était donc pas, au regard des critères retenus par la Cour de cassation, un accident de la circulation (Cf supra n° 10). La deuxième Chambre civile approuve néanmoins la condamnation de l’assureur RC auto à prendre en charge le sinistre au motif que « que l’article R. 211-5 [du Code des assurances], dans sa rédaction issue du décret 86-21 du 7 janvier 1986, prévoit que l’obligation d’assurance s’applique à la réparation des dommages corporels et matériels résultant des accidents, incendies, ou explosions causés par le véhicule, les accessoires et produits servant à son utilisation, les objets et substances qu’il transporte, de la chute de ces accessoires, objets, substances et produits, alors que, dans sa rédaction antérieure au décret susvisé, le champ d’application de l’assurance obligatoire était limité aux dommages résultant, « à l’occasion de la circulation des véhicules »… le reste étant demeuré inchangé ; qu’il s’en déduit que les accidents causés par les accessoires ou la chute d’objets sont, depuis l’intervention du décret de 1986, garantis même si le véhicule ne circule pas et si l’accident ne constitue pas un accident de la circulation au sens de la loi du 5 juillet 1985 » (Cass. 2e civ., 21 nov. 2013, n° 12-14.714 : Resp. civ. et assur. févr. 2014, comm. 70, H. Groutel).

            Un arrêt du 13 septembre 2018 confirme cette analyse. Après avoir réaffirmé que « il résulte de l’article R. 211-5 du Code des assurances que les accidents causés par les accessoires ou la chute d’objets sont garantis même si le véhicule ne circule pas et si l’accident ne constitue pas un accident de la circulation au sens de la loi du 5 juillet 1985 », la 2ème Chambre civile approuve la condamnation de l’assureur RC auto, alors que l’accident, causé par la chute d’un bloc de béton depuis le godet d’une pelleteuse immobilisée, ne constituait pas un accident de la circulation (Cass. 2e civ., 13 sept. 2018, n° 17-25.671 : Bull. civ. II, n°172 ; Resp. civ. et assur., déc. 2018, comm. 314, H. Groutel).

            Un arrêt du 9 novembre 2023 témoigne de la stabilité de cette jurisprudence en rappelant que « il résulte [des articles L. 211-1 et R. 211-5 du Code des assurances] que l’assurance automobile obligatoire garantit les dommages causés par les véhicules terrestres à moteur ou leurs accessoires, même lorsque l’accident ne constitue pas un accident de la circulation au sens de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 », avant de censurer une cour d’appel qui avait refusé de condamner l’assureur RC auto à garantir le dommage causé par une pelleteuse immobilisée afin de procéder au creusage d’une tranchée et dont le godet avait endommagé une canalisation d’eau.

  1. – Articulation des garanties RC auto et des garanties RC professionnelle. Etant donné le champ d’application des garanties obligatoires de l’assurance de responsabilité civile automobile, un chevauchement de celles-ci avec les garanties fournies par l’assureur de responsabilité civile professionnelle de l’entreprise propriétaire ou gardienne du véhicule qui a causé l’accident n’est pas exclu.

            En effet, si, en pratique, l’assureur RC professionnelle n’entend jamais couvrir les accidents qui relèvent de la garantie de l’assurance auto obligatoire, on rencontre néanmoins dans les polices des clauses qui n’aboutissent qu’à une exclusion partielle de ces accidents. Ainsi, l’exclusion « des dommages causés par un accident de la circulation », comme celle « des dommages engageant la responsabilité civile de l’assuré sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985 », laisse dans le champ de la garantie de l’assureur RC professionnelle les dommages causés par le véhicule (et ses accessoires) « hors circulation », lesquels relèvent également de la garantie de l’assureur RC auto (cf supra n°10). Ainsi apparaît un cumul d’assurances, situation qui implique, selon l’article L. 121-4 du Code des assurances, une prise en charge du sinistre par les deux assureurs en présence, en proportion de leurs engagements respectifs (sur la notion d’assurances cumulatives et la règlementation qui s’y applique, V. notre article : https://www.alteas.fr/les-assurances-cumulatives/). Le caractère d’ordre public de ce texte interdit à l’assureur RC professionnelle, assigné par la victime d’un accident causé par le véhicule « hors circulation » de refuser sa garantie au motif (inopérant) que l’indemnisation devrait être exclusivement prise en charge par l’assureur RC auto (Cass. 2e civ., 8 mars 2018, n° 17-13.554 : Resp. civ. et assur. juin 2018, comm. 182, H. Groutel).

            Afin de parvenir à une articulation parfaite des garanties dues par l’assureur RC professionnelle et l’assureur RC auto, la police du premier doit écarter de sa garantie l’ensemble des dommages causés par un véhicule terrestre à moteur, ainsi que les dommages causés par les accessoires et produits servant à l’utilisation de celui-ci. Avec une exclusion des « dommages relevant de la garantie obligatoire de l’assureur des véhicules terrestres à moteur, de leurs remorques et semi-remorques, dont l’assuré a la propriété, la garde ou l’usage », tout risque de cumul de garanties devrait être écarté, ce qui est de nature à simplifier et donc à accélérer, au bénéfice de l’assuré, la prise en charge des sinistres engageant sa responsabilité.

Maud Asselain

WordPress Appliance - Powered by TurnKey Linux