Les intermédiaires d’assurance
Qu’est-ce qui distingue courtiers et agents d’assurance ?
Si, en théorie, rien ne s’oppose à ce qu’une relation d’assurance soit nouée directement entre l’entreprise d’assurance et l’assuré, en pratique, la conclusion des contrats fait très fréquemment intervenir des intermédiaires. Courtiers et agents d’assurance sont les principaux intermédiaires auxquels s’adresse le candidat à l’assurance en vue de la souscription d’une police sans toujours percevoir clairement ce qui distingue ces deux catégories de professionnels.
Les intermédiaires obéissent à une réglementation commune (I), laquelle a fait l’objet d’une réforme par l’ordonnance n° 2018-361 du 16 mai 2018, transposant la directive européenne 2016/97 (dite « DDA ») du Parlement européen et du Conseil du 20 janvier 2016. Des règles particulières persistent néanmoins, de sorte que l’agent général, mandataire de la compagnie d’assurance (II), doit être nettement distingué du courtier, mandataire de l’assuré (III).
1– Règles communes aux intermédiaires d’assurance
Courtiers et agents exercent une activité de « distribution d’assurances », laquelle consiste, selon la définition de l’article L. 511-1 du Code des assurances, « à fournir des recommandations sur des contrats d’assurance ou de réassurance, à présenter, proposer ou aider à conclure ces contrats ou à réaliser d’autres travaux préparatoires à leur conclusion, ou à contribuer à leur gestion et à leur exécution, notamment en cas de sinistre ». L’article R. 511-1 du Code des assurances précise que « est considérée comme présentation, proposition ou aide à la conclusion d’une opération d’assurance, le fait pour toute personne physique ou personne morale de solliciter ou de recueillir la souscription d’un contrat ou l’adhésion à un tel contrat, ou d’exposer oralement ou par écrit à un souscripteur ou un adhérent éventuel, en vue de cette souscription ou adhésion, les conditions de garantie d’un contrat ».
Nota : L’activité exercée à distance, notamment via un site internet, relève de la distribution d’assurances dès lors que la fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par le souscripteur ou l’adhérent offre au souscripteur ou adhérent éventuel la possibilité de conclure le contrat directement ou indirectement (C. assur., art. L. 511-1, al. 2).
L’exercice de la profession de courtier et d’agent est soumis à des exigences communes (A). Ces deux catégories d’intermédiaires sont également tenus d’un devoir d’information et de conseil à l’égard du candidat à l’assurance (B).
A– Conditions d’exercice de la profession d’intermédiaire
Capacité professionnelle. Un certain niveau de capacité professionnelle est exigé de toutes les personnes exerçant une activité de distribution d’assurances rémunérée (C. assur., art. L. 511-2, I). Cette capacité doit être entretenue par une formation et un développement professionnel continu pour maintenir un niveau de performance correspondant aux fonctions occupées et au marché concerné (C. assur., art. L. 511-2-II).
Honorabilité. L’exigence d’honorabilité des intermédiaires d’assurance est alignée sur celle qui est requise des dirigeants, gérants ou administrateurs d’une entreprise d’assurance (C. assur., art. L. 511-3). Une condamnation pénale pour crime ou à une peine de prison ferme ou d’au moins six mois avec sursis en raison de certains délits (visés par l’article L. 322-2 du Code des assurances) interdit l’accès à la profession de courtier ou d’agent.
Obligation d’immatriculation. Les intermédiaires sont tenus d’une obligation d’immatriculation sur un registre spécial accessible au public (C. assur., art. L. 512-1 et R. 512-1 et s.)
Obligation d’assurance de responsabilité professionnelle. En application de l’article L. 512-6 du Code des assurances, « tout intermédiaire doit souscrire un contrat d’assurance le couvrant contre les conséquences pécuniaires de sa responsabilité civile professionnelle », sauf s’il bénéficie déjà de cette garantie par le biais d’un contrat souscrit par une autre personne, notamment par l’entreprise d’assurance pour le compte de laquelle il agit. Cette obligation d’assurance vise à protéger les assurés victimes des fautes commises par l’intermédiaire dans l’exercice de sa profession, en leur permettant d’obtenir réparation auprès de l’assureur de responsabilité de l’auteur des préjudices.
Garantie financière. Dans la même optique de protection des assurés, un détournement des fonds remis à l’intermédiaire n’étant pas exclu, une garantie financière est imposée. L’article L. 512-7 énonce que « tout intermédiaire qui, même à titre occasionnel, encaisse des fonds destinés à être versés soit à une entreprise d’assurance, soit à des assurés, doit souscrire une garantie financière spécialement affectée au remboursement de ces fonds aux assurés ». Cette garantie financière prend la forme d’un engagement de caution délivré par un établissement de crédit ou une entreprise d’assurance.
B – Obligation d’information et de conseil
La jurisprudence a toujours mis à la charge des intermédiaires d’assurance un devoir de conseil (V., par ex., pour le courtier : Cass. civ., 10 nov. 1964 : RGAT 1965, p. 175, note A. Besson ; Cass. 1re civ., 6 nov. 1984 : Bull. civ. I, n° 291 ; pour l’agent : Cass. 1re civ., 28 oct. 1986 : RGAT 1986, p. 610). Ce devoir trouve aujourd’hui son fondement dans la loi. L’article L. 521-4 du Code des assurances, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 16 mai 2018, impose en effet au courtier comme à l’agent, en leur qualité de distributeurs d’assurances, de préciser par écrit, avant la conclusion de tout contrat d’assurance et sur la base des informations obtenues auprès du souscripteur éventuel ou de l’adhérent éventuel, les exigences et les besoins de celui-ci et de fournir des informations objectives sur le produit d’assurance proposé sous une forme compréhensible, exacte et non trompeuse afin de lui permettre de prendre une décision en toute connaissance de cause. Le même texte exige également de l’intermédiaire qu’il « conseille un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ou de l’adhérent éventuel et précise les raisons qui motivent ce conseil » (C. assur., art. L. 521-4, al. 2).
L’ordonnance du 16 mai 2018 a également créer une obligation nouvelle de « transparence » en contraignant les intermédiaires à communiquer au candidat à l’assurance des informations afférentes aux modalités de leur rémunération pour le contrat envisagé (C. assur., art. L. 521-2, 2°).
2 – Règles propres à l’agent général d’assurance
En raison de son statut particulier (A), l’agent est susceptible d’engager sa responsabilité personnelle ainsi que celle de la compagnie qu’il représente, à l’occasion de l’exercice de son activité d’intermédiation (B).
A– Statut de l’agent
L’agent général est une personne physique ou morale exerçant une activité indépendante de distribution et de gestion de produits et de services d’assurance en vertu d’un mandat écrit (dénommé « traité de nomination ») délivré par une ou plusieurs entreprises d’assurance. Mandataire d’une compagnie d’assurance, rarement de plusieurs, il est en principe tenu d’une obligation d’exclusivité à l’égard de son mandant, ce qui le place dans une situation de dépendance vis-à-vis de ce dernier. C’est pourquoi, très tôt, les agents ont bénéficié d’un statut protecteur, destiné, entre autres, à encadrer et régler les conséquences de leur révocation. Ce statut, désormais commun à l’ensemble des agents quelle que soit la branche d’assurance, vie ou non-vie, dans laquelle ils interviennent, a été réformé par un décret n° 96-902 du 15 octobre 1996. Ce décret se borne à approuver des règles négociées et établies par les organisations professionnelles intéressées. Ce mécanisme d’adoption des normes applicables aux agents garantit une certaine souplesse, sans sacrifice des intérêts des agents, lesquels, comme auparavant, ont droit à une indemnité compensatrice lorsqu’ils cessent leur fonction.
B – Responsabilités liées à l’exercice de l’activité d’agent
1° Responsabilité de la compagnie du fait de ses agents
L’article L. 511-1, IV, du Code des assurances énonce que l’entreprise d’assurance est « civilement responsable, dans les termes de l’article 1242 (art. 1384 anc.) du Code civil, du dommage causé par la faute, l’imprudence ou la négligence de ses employés ou mandataires agissant en cette qualité, lesquels sont considérés, pour l’application du présent article, comme des préposés, nonobstant toute convention contraire ». Le texte établit la responsabilité de la compagnie du fait de ses agents, de même qu’il en fixe les conditions en faisant référence à l’article 1242 du Code civil, texte qui fonde la responsabilité du commettant du fait de ses préposés. L’agent qui cause un dommage à l’assuré par sa faute, laquelle peut consister, par exemple, en des détournements de fonds ou en une inexécution de son devoir d’information et de conseil, va engager la responsabilité de son mandant à l’égard de la victime (V. par ex., Cass. 2e civ., 8 déc. 2016, n°15-25128 : RGDA févr. 2017, p. 150, note D. Langé : engage sa responsabilité à l’égard de l’assuré, l’assureur dont l’agent général a omis de mettre en garde le souscripteur sur l’inadéquation du montant de la garantie au regard de la valeur du fonds de commerce assuré). La compagnie ne peut s’exonérer qu’en démontrant que le dommage est dû à un événement de force majeure ou qu’il a été causé par un agent « qui, agissant sans autorisation, et à des fins étrangères à ses attributions, s’est placé hors des fonctions auxquelles il était employé », ce qui caractérise « l’abus de fonction », classiquement exonératoire de la responsabilité des commettants (Cass. crim., 25 avril 1989 : RGAT 1989, p. 902, note M. Pauffin de Saint-Morel ; Cass. 1re civ., 28 oct. 1997 : Resp. civ. et assur. 1998, comm. 31, note H. Groutel ; Cass. 2e civ., 15 sept. 2011, n° 10-25754).
2° Maintien de la responsabilité personnelle de l’agent
Du fait de l’assimilation expresse de l’agent au préposé par l’article L. 511-1, s’est posée la question de l’extension à l’agent du bénéfice de l’immunité accordée par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation au préposé qui cause un dommage dans le cadre de sa mission (Cass. ass. plén., 25 févr. 2000 – arrêt « Costedoat » – : Bull. civ. ass. plén., n° 2 ; Resp. civ. et assur. 2000, chron. 11, H. Groutel et chron. 22, Ch. Radé). La sujétion dans laquelle se trouve l’agent vis-à-vis de l’entreprise d’assurance dont il est le mandataire aurait pu justifier que l’on écarte, comme cela a été admis pour le préposé, sa responsabilité personnelle à l’égard de la victime pour ces dommages survenus dans les limites de l’exercice de sa mission. La jurisprudence est cependant en sens contraire. Au motif que « le renvoi fait par l’article L. 511-1 du Code des assurances à l’article 1384 [1242, depuis la réforme du 10 février 2016] du Code civil a pour seul objet de faire bénéficier le client de l’agent général d’assurance, pris en qualité de mandataire de l’assureur, de la garantie de ce dernier », la responsabilité personnelle de l’agent à l’égard de la victime est maintenue (Cass. 1re civ., 10 déc. 2002 : RGDA 2003, p. 129, note D. Langé. Dans le même sens : Cass. 2e civ., 4 janv. 2006, n°04-15280 : Resp. civ. et assur. 2006, chron. 5, H. Groutel ; Cass. 2e civ., 7 juill. 2011, n°10-21.719 : Bull. civ. II, n° 155 ; Cass. 2e civ., 17 nov. 2016, n° 15-24452). Au-delà, l’agent apparaît comme le véritable débiteur de l’indemnisation, la compagnie ne jouant que le rôle d’un garant dans l’intérêt des assurés. En conséquence, l’entreprise d’assurance qui aurait désintéressé la victime dispose d’un recours intégral contre son agent. On perçoit ici toute l’utilité pour l’agent de bénéficier d’une assurance de sa responsabilité professionnelle dont la souscription lui est d’ailleurs imposée par la loi.
3 – Règles propres au courtier
A– Statut du courtier
Le courtier, qui peut être une personne physique ou morale (société de courtage), a la qualité de commerçant et doit en conséquence être inscrit au registre du commerce et des sociétés. Sa clientèle est constituée par des candidats à l’assurance ou des assurés qui le chargent de trouver sur le marché de l’assurance la compagnie qui acceptera de garantir les risques auxquels ils sont exposés, dans les meilleures conditions et au meilleur prix. En pratique, le courtier est également chargé de la gestion du contrat qui a été conclu par son intermédiaire.
Le courtier n’est lié, en principe, à aucune entreprise d’assurance ; il a la qualité de mandataire de ses clients et non d’une compagnie déterminée.
B– Responsabilité du courtier
1° Principe de responsabilité personnelle
Le courtier engage sa responsabilité personnelle pour les dommages qu’il cause dans l’exercice de sa mission. L’inexécution ou la mauvaise exécution de ses obligations envers son mandant, notamment de l’obligation d’information et de conseil à laquelle il est tenu envers lui, engage sa responsabilité contractuelle. Le courtier étant un commerçant indépendant, ses fautes ne sont pas, en principe, susceptibles d’entraîner une autre responsabilité que la sienne. L’article L. 511-1, qui établit la responsabilité de l’entreprise d’assurance du fait de ses mandataires, est inapplicable lorsque l’auteur du dommage est un courtier, sous réserve de certaines exceptions.
2° Exceptions : engagement de la compagnie du fait d’un courtier
Lorsque le courtier a reçu un mandat effectif, ses fautes dommageables sont susceptibles d’engager la responsabilité de l’entreprise d’assurance mandante à l’égard des tiers victimes. Quant à la théorie du mandat apparent, elle peut contraindre une compagnie à honorer les engagements pris par un courtier pourtant dépourvu du pouvoir de la représenter.
Hypothèse du mandat effectif. Il arrive qu’une compagnie confère à un courtier un mandat tacite ou exprès en vue de la représenter pour une ou plusieurs opérations déterminées. Il est évident que, dans cette hypothèse où le courtier a, par exception, la qualité de mandataire de l’entreprise d’assurance, il va, comme l’agent général, engager non seulement sa responsabilité personnelle, mais également celle de son mandant, s’il cause un dommage à un tiers lors de l’exécution de la mission qui lui a été confiée (C. assur., art. L. 511-1, IV).
Hypothèse du mandat apparent. En pratique, des liens plus ou moins durables s’établissent entre le courtier et certaines compagnies d’assurance, lesquelles peuvent être amenées à lui remettre des documents à leur en-tête, susceptibles de créer une apparence trompeuse. Les tiers peuvent alors légitimement croire que le courtier agit en qualité de mandataire d’une compagnie. Dans cette hypothèse, la jurisprudence fait application de la théorie de l’apparence ; estimant que le courtier a la qualité de mandataire apparent, l’acte qu’il a accompli sans en avoir réellement le pouvoir (faute de mandat effectif) va néanmoins engager la compagnie (mandante apparente) à l’égard de l’assuré trompé par les apparences. En d’autres termes, l’irrégularité de l’acte résultant du défaut de pouvoir du courtier est inopposable aux tiers par l’entreprise d’assurance, laquelle devra, le cas échéant, exécuter une prestation au profit du bénéficiaire d’un contrat à la conclusion duquel elle n’a pas consenti (Cass. 1re civ., 10 févr. 2004, n° 02-13.785. – Cass. 1re civ., 20 janv. 1993 : Resp. civ. et assur. 1993, comm. 146 : le courtier, qui a délivré une attestation d’assurance, engage l’entreprise d’assurance dont il est le mandataire apparent, de sorte que la compagnie ne peut opposer à l’assuré la nullité du contrat irrégulièrement souscrit).
Sources de l’article :