Les conséquences de l’omission de déclaration d’un chantier

Quelles sanctions encourt l’assuré qui omet de déclarer à son assureur l’un de ses chantiers ou l’une de ses missions ?

     Les polices d’assurance de responsabilité professionnelle souscrites par les constructeurs et, particulièrement, les architectes, qu’elles soient obligatoires ou facultatives, font quasi-systématiquement obligation à l’assuré de déclarer les chantiers auxquels il a participé. La question de la sanction d’une omission de déclaration d’une mission soulève un abondant contentieux qui a donné lieu, au cours des 20 dernières années, à une trentaine d’arrêts de la Cour de cassation. 

     Les sanctions envisageables vont de la simple obligation de verser un complément de prime assortie d’une pénalité à l’absence totale de garantie du chantier omis, en passant par la réduction proportionnelle de l’indemnité de sinistre. L’architecte ou, plus généralement, le constructeur qui n’a pas respecté son obligation risque en conséquence de se trouver à découvert d’assurance et de devoir supporter sur ses deniers personnels le poids de sa condamnation envers le maitre de l’ouvrage. Quant à ce dernier, il peut être pareillement victime de cette omission, puisque la non-assurance ainsi que la réduction proportionnelle de l’indemnité sont deux exceptions que l’assureur de responsabilité est en droit d’opposer pour refuser de lui verser une quelconque indemnisation ou réduire le montant de celle-ci.

     Il convient en conséquence de déterminer clairement les sanctions qui s’attachent à l’omission de déclaration de chantier. L’étude de la jurisprudence montre que celles-ci diffèrent selon que la police fait de la déclaration de chantier une condition de la garantie (I), reproduit les dispositions de l’article L. 113-10 du Code des assurances (II) ou se borne à stipuler l’obligation de déclaration sans faire référence à sa sanction ou sans mentionner de sanctions autres que celles des articles L. 113-8 et L. 113-9 du Code des assurances (III).

I. – Police faisant de la déclaration de chantier une condition de la garantie

     Le contrat d’assurance souscrit par l’architecte ou l’entrepreneur peut comprendre une stipulation faisant expressément de la déclaration du chantier par l’assuré une condition d’existence de la garantie. La jurisprudence admet la validité de cette clause lorsqu’elle figure dans une police d’assurance facultative (V., par ex., Cass. 3e civ., 5 mars 2020, n° 18-26801 ; Cass. 3e civ., 1er oct. 2020, n° 18-20.809 : Resp. civ. et assur., déc. 2020, étude 11, Ph. Brun ; Cass. 3e civ., 26 nov. 2020, n°19-20251 : RGDA janv. 2021, p. 47, note J.-P. Karila). 

      Un arrêt du 5 décembre 2000 l’avait également jugée licite alors qu’elle était insérée dans une police d’assurance obligatoire de responsabilité décennale d’un architecte (Cass. 1re civ., 5 déc. 2000, 98-14.102 : Bull. civ. I, n° 313 ; RDimm. 2001, p. 36, obs. G. Durry). Un arrêt du 1er octobre 2020 énonce cependant que, « lorsque, dans un contrat d’assurance de responsabilité professionnelle d’un architecte ne relevant pas de l’assurance obligatoire, une clause fait de la déclaration de chaque chantier une condition de la garantie, cette clause doit recevoir application, de sorte que l’absence de déclaration d’un chantier entraîne une non-assurance » (Cass. 3e civ., 1er oct. 2020, n°19-18.165). Par interprétation a contrario, l’arrêt semble désormais interdire la stipulation de pareille condition dans une assurance obligatoire (V. en ce sens P. Dessuet, « La saga de la sanction en cas de non-déclaration de chantier en police RC architecte : suite et fin ? » : RGDA juin 2022).

     Lorsque la police énonce clairement que la déclaration des chantiers ou des missions auxquels l’assuré participe ou a participé subordonne la garantie de l’assureur, alors la sanction de l’inexécution de l’obligation est radicale. Elle est celle de la non-assurance, de sorte que l’opération non-déclarée n’est pas couverte, la responsabilité encourue à l’occasion du chantier omis n’est pas garantie et le maître de l’ouvrage atteint de désordres ne peut réclamer aucune indemnisation à l’assureur de l’auteur du sinistre.

 

 

II. – Police reproduisant les dispositions de l’article L. 113-10 du Code des assurances

      L’article L. 113-10 du Code des assurances gouverne les assurances dites « à risques et primes variables », qu’il définit comme celles « où la prime est décomptée soit en raison des salaires, soit d’après le nombre des personnes ou des choses faisant l’objet du contrat ». Ce texte a naturellement vocation à s’appliquer aux assurances souscrites par les constructeurs, lesquelles sont, dans l’immense majorité des cas, des polices « à risques et primes variables ». Les assurés ne peuvent en effet connaître, en début de période d’assurance, le nombre exact de chantiers auxquels ils seront amenés à participer. C’est pourquoi l’assureur accepte de couvrir, par principe, l’ensemble des missions à venir, moyennant versement d’une prime calculée au vu du chiffre d’affaires de l’année précédente. A l’issue de l’exercice, il est convenu que l’assuré devra déclarer le chiffre d’affaires exact et le nombre d’opérations effectivement réalisées durant l’année écoulée, afin que l’assureur puisse procéder (à l’aide de données désormais connues) au calcul de la prime dont doit s’acquitter l’assuré. 

     La jurisprudence estime que, lorsque la police d’assurance fait expressément référence aux dispositions de l’article L. 113-10 du Code des assurances ou prévoit une sanction reprenant en substance le mécanisme prévu par ce texte, l’assureur ne peut se prévaloir d’aucune autre sanction que celle prévue par ledit texte à l’encontre de l’assuré qui a manqué à son obligation de déclaration d’un chantier (Cass. 1re civ., 31 mai 1998 : Bull. civ. 1998, I, n° 129 ; Resp. civ. et assur. 1998, comm. 180 et chron. 9, H. Groutel. – Cass. 1re civ., 18 févr. 1997 : Bull. civ. 1997, I, n° 60. – Cass. 3e civ., 10 mars 2014, n° 03-10640 ; Cass. 2e civ., 26 nov. 2020, n°18-10190 : RGDA janv. 2021, p. 47, note J.-P. Karila. – Cass. 3e civ., 11 mai 2022, no 21-15420 : RGDA juin 2022, chron. P. Dessuet). Spécialement, l’assureur dont la police se réfère explicitement ou implicitement à l’article L. 113-10, ne peut opposer à son assuré qui a omis de déclarer une mission, ni la nullité que l’article L. 113-8 du Code des assurances attache à la fausse déclaration intentionnelle du risque, ni la réduction proportionnelle de l’indemnité de sinistre qu’autorise l’article L. 113-9 du même code en cas d’inexactitude de bonne foi de la déclaration du risque. Cela, quand bien même la police viserait cumulativement l’ensemble de ces textes (mêmes arrêts).

     En conséquence, en cas d’erreur ou d’omission dans les déclarations, l’assuré doit verser le montant de la différence entre la prime payée et celle qui aurait dû l’être, somme à laquelle s’ajoute une pénalité qui ne peut être supérieure à 50 % de cette différence (C. assur., art. L. 113-10, al. 1). Il faut souligner que la garantie demeure entière et que l’indemnité due à raison d’un sinistre survenu à l’occasion du chantier non ou mal déclaré ne fait l’objet d’aucune réduction, malgré l’insuffisance de prime perçue par l’assureur. En cas de fraude de l’assuré (ce que l’assureur doit prouver), au complément de prime et à la pénalité prévus par l’alinéa 1 de l’article L. 113-10 s’ajoute une sanction spécifique, visée par l’alinéa 2 du même texte, lequel énonce que « il peut être stipulé que lorsque les erreurs ou omissions ont, par leur nature, leur importance ou leur répétition, un caractère frauduleux, l’assureur est en droit de répéter les sinistres payés ». En application de ce texte, l’assuré est déchu du bénéfice de la garantie pour la période couverte par la fraude, c’est-à-dire l’année d’assurance correspondant à la déclaration. En revanche, le contrat n’est pas annulé et se poursuit tant qu’il n’est pas résilié. 

III. – Police muette sur les sanctions attachées à la non-déclaration ou se référant exclusivement aux articles L. 113-8 ou L. 113-9 du Code des assurances 

     Lorsque la police n’indique aucune sanction attachée à une omission de déclaration d’un chantier par l’assuré ou lorsque la police se réfère exclusivement aux sanctions prévues par les articles L. 113-8 et/ou L. 113-9 du Code des assurances (ce qui suppose qu’elle ne comporte en outre aucune référence expresse ou implicite à l’article L. 113-10 du Code des assurances, sans quoi les dispositions de ce dernier texte vont prévaloir : Cf supra II), la jurisprudence considère que la non-déclaration ou la déclaration inexacte d’un chantier par l’assuré doit être sanctionnée sur le fondement de ces deux textes (Cass. 1re civ., 18 févr. 1997, n° 95-12650 : Bull. civ. I, n° 60. – Cass. 1re civ., 31 mars 1998, n° 96-12526 : Resp. civ. et assur. 1998, chron. 9, H. Groutel. – Cass. 2e civ., 10 mars 2004, n° 03-10640 : Resp. civ. et assur. 2004, comm. 202, H. Groutel. – Cass. 3e civ., 8 févr. 2012, nos 10-27255 et 10-31074. – Cass. 3e civ., 11 mai 2022, n° 21-15420 : RGDA juin 2022, chron. P. Dessuet).

     En conséquence, lorsque l’omission de la déclaration ou la fausse déclaration présente un caractère intentionnel (ce qu’il incombe à l’assureur de prouver), elle doit être traitée, conformément à l’article L. 113-8 du Code des assurances, comme un manquement frauduleux à l’obligation de déclaration des aggravations de risques en cours de contrat. L’assuré encourt une annulation de la police et ne sera donc pas couvert pour le chantier non ou mal déclaré. Il devra en outre restitution des sommes versées au titre des sinistres survenus durant la période d’assurance au cours de laquelle la fraude a été commise. 

     Lorsque l’omission ou l’inexactitude de la déclaration ne présente pas un caractère frauduleux, la police d’assurance n’est pas nulle, mais l’article L. 113-9 du Code des assurances autorise l’assureur à résilier le contrat ou à proposer sa poursuite moyennant une augmentation de prime. En outre, si un sinistre est survenu, il y a lieu de procéder à une réduction de l’indemnité « en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues, si les risques avaient été complètement et exactement déclarés » (C. assur., art. L. 113-9, al. 2). 

     Il faut noter que, selon la jurisprudence la plus récente, l’assureur qui entend sanctionner l’absence de déclaration de chantier sur le fondement de l’article L. 113-9 du Code des assurances n’est pas en droit de modifier conventionnellement les modalités de calcul de la réduction proportionnelle prévues par ce texte. Un arrêt du 11 mai 2022 estime ainsi très fermement que « le contrat d’assurance ne peut déroger à ces dispositions d’ordre public en prévoyant un autre mode de calcul de la réduction proportionnelle » (Cass. 3e civ., 11 mai 2022, n° 21-15420 : RGDA juin 2022, chron. P. Dessuet). Il en résulte que doit être invalidée une clause – pourtant fréquente en pratique – en vertu de laquelle « toute omission ou déclaration inexacte d’une mission de la part de l’assuré de bonne foi, si elle est constatée après sinistre, donne droit à l’assureur, conformément à l’article L. 113-9 du Code des assurances, de réduire l’indemnité en proportion des “cotisations” payées par rapport aux “cotisations” qui auraient été dues pour cette mission si elle avait été complètement et exactement déclarée. En cas d’absence de déclaration, la réduction proportionnelle équivaut à une absence de garantie ». Cette clause retient, pour procéder à la réduction proportionnelle, le rapport existant entre la prime payée pour la mission litigieuse et la prime qui aurait été due au titre de ladite mission si elle avait été exactement déclarée ; elle aboutit mathématiquement à réduire la garantie à néant dès lors que la déclaration a été purement et simplement omise, puisque, par définition dans cette hypothèse, aucune prime n’a été payée par l’assuré. L’arrêt précité du 11 mai 2022 condamne très clairement ce type de clause. Après avoir rappelé qu’il « résulte de [l’article L. 113-9 du Code des assurances, d’ordre public] qu’en l’absence de déclaration de la mission et de paiement des primes afférentes, l’indemnité due par l’assureur doit être réduite en proportion du taux de la prime annuelle payée par rapport à celui de la prime qui aurait été due si la mission avait été déclarée », il énonce « que la réduction proportionnelle de l’indemnité due au tiers lésé ne pouvait se calculer d’après le rapport entre les cotisations payées pour la mission inexactement déclarée et les cotisations qui auraient dû être payées pour cette mission ».

     Si, au fil des arrêts, les sanctions susceptibles de frapper l’assuré qui a omis de déclarer un chantier se clarifient, l’on peut regretter la complexité des solutions jurisprudentielles. L’assuré devra faire preuve de la plus grande vigilance dans la lecture de sa police afin de savoir ce à quoi il s’expose (non-assurance, pénalité ou réduction proportionnelle ?) en cas de manquement à ses obligations déclaratives. Quant au maître de l’ouvrage, lequel pâtit également du défaut de déclaration puisqu’il est le bénéficiaire de l’indemnité due par l’assureur de responsabilité, il sera bien inspiré d’exiger systématiquement la production par le constructeur d’une attestation d’assurance visant expressément le chantier considéré (et, en conséquence, effectivement déclaré).

Maud Asselain

Sources :

https://www.argusdelassurance.com/juriscope/analyses-d-experts/police-d-abonnement-les-effets-de-la-non-declaration-de-chantier.177679

 

https://www.lemoniteur.fr/article/la-non-declaration-d-un-chantier-en-police-architecte-et-ses-effets.2124424

 

WordPress Appliance - Powered by TurnKey Linux