Le bénéficiaire d’une indemnité d’assurance est-il libre d’en disposer à sa guise ?

         Les assurances de dommages visent à protéger l’assuré contre le risque d’une perte patrimoniale résultant, soit de la dégradation, de la disparition ou de la destruction de l’un de ses biens, soit de la mise à sa charge d’une dette de responsabilité envers un tiers. Ces assurances de dommages, par opposition aux assurances de personnes qui donnent lieu au versement d’une prestation forfaitaire, ont une vocation indemnitaire. L’assurance de biens a pour objet d’indemniser l’assuré en cas de sinistre frappant la chose assurée ; l’assurance de responsabilité vise, quant à elle, à indemniser la victime au lieu et place de l’assuré auteur des dommages.

            Dans la mesure où les assurances de dommages ont pour objet d’indemniser, il est légitime que l’assureur subordonne le versement de sa prestation à la preuve par l’assuré ou la victime de l’existence et de l’étendue de son dommage.

            L’assureur peut-il aller au-delà et exiger que les sommes dont il est redevable soient effectivement affectées à la réparation du dommage ? Peut-il, en amont, subordonner l’exécution de sa prestation à la preuve, par celui qui réclame versement de l’indemnité, qu’il a bien exposé des frais pour se soigner ou pour réparer (ou remplacer) le bien sinistré ? L’assureur peut-il, en aval, réclamer remboursement à la victime ou à son assuré des sommes qu’il a versées, lorsque lesdites sommes n’ont pas été dépensées, par leurs bénéficiaires, pour réparer les dommages constatés ? Autrement dit, le bénéficiaire d’une indemnité d’assurance est-il libre de disposer comme il l’entend de la somme due (ou acquittée) par l’assureur ?

            A cette question, la jurisprudence a apporté une réponse claire en posant le principe de libre disposition de l’indemnité d’assurance (I). Cela étant, ce principe n’a pas la même vigueur selon que l’indemnité dont l’assureur est redevable est exigible, par la victime, en exécution d’une police d’assurance de responsabilité civile ou par l’assuré, dans le cadre d’une assurance de choses. C’est en effet dans le cadre des assurances de biens que les exceptions au principe de libre disposition sont les plus notables (II).

1 – L’affirmation du principe de libre disposition de l’indemnité d’assurance

A) Affirmation du principe de libre disposition, par la victime, de l’indemnité due par l’assureur de responsabilité

            Une jurisprudence constante estime que la victime d’un dommage est libre de disposer des dommages-intérêts qui lui sont dus (par le responsable ou l’assureur de celui-ci) en réparation du préjudice dont elle a souffert.

            Nul ne pouvant contraindre une personne à se soumettre à des traitements médicaux (C. civ., art. 16-3 ; Cass. 2eciv., 19 mars 1997, n°93-10914 : RTD civ. 1997, p. 675, obs. P. Jourdain. – Cass. 2e civ., 19 juin 2003, n°01-13289 : Resp. civ. et assur. 2004, chron. 2, M.-A. Agard), la victime d’un dommage corporel n’est pas tenue d’affecter l’indemnité reçue à la réparation de ses blessures (Cass. crim., 2 juin 2015, n° 14-83967 : Gaz. Pal. 30 juin 2015, p. 27, note D. Zégout ; Resp. civ. et assur. 2015, comm. 251, H. Groutel : « le principe de la réparation intégrale n’implique pas de contrôle sur l’utilisation des fonds alloués à la victime qui en conserve la libre utilisation »). En conséquence, l’indemnité à laquelle elle a droit (en application du principe de réparation intégrale) ne saurait être supprimée ou réduite en raison de son refus de suivre les soins préconisés (Cass. 1re civ., 3 mai 2006, n°05-10411 : RTD civ., 2006, p. 562, obs. P. Jourdain. – Cass. 1re civ., 15 janv. 2015, n°13-21180 : D. 2015, p. 1075, obs. T. Gisclard). Dans le même ordre d’idée, un juge, a fortiori un assureur, ne saurait décider de l’affectation de l’indemnité au lieu et place de la victime (Cass. crim., 22 févr. 1995, n° 94-82991 : Bull. crim., n° 77 ; JCP G 1995, I 3893, n° 22, obs. G. Viney ; RTD civ. 1996, p. 402, obs. P. Jourdain : cassation de la décision d’appel qui, pour réparer le préjudice d’une victime atteinte d’une incapacité permanente de 98 %, avait décidé que la rente annuelle allouée à ce titre serait versée à l’établissement de soins pendant les périodes d’hospitalisation et par fractions trentenaires au mandataire de l’invalide pour chacun de ses séjours en famille, alors que « le juge répressif ne peut, sans excéder ses pouvoirs, décider de l’affectation des sommes allouées à la partie civile en réparation de son préjudice »). Pareillement, le versement de l’indemnisation ne peut pas être subordonnée par les juges du fond à la présentation par la victime de factures acquittées justifiant de ses frais d’appareillage médicaux (Cass. crim., 2 juin 2015, n° 14-83967, préc.).

            Au nom de la liberté d’user de ses biens (et de sa fortune) à sa guise (liberté qui trouve son fondement dans l’article 544 du Code civil, lequel énonce que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements »), la victime bénéficie pareillement du droit de disposer de l’indemnité perçue en réparation d’un dommage matériel.

            Il en va ainsi de l’indemnité réparant le préjudice matériel découlant d’une atteinte à l’intégrité physique de la victime. Lorsque l’état de la victime justifie qu’elle bénéficie de l’assistance d’une tierce personne, d’un aménagement de son logement ou de son véhicule, l’indemnité qui lui est allouée est certes calculée en fonction du coût de l’assistance et/ou de l’aménagement en question (le principe de réparation intégrale, « sans perte, ni profit » interdisant l’enrichissement, comme l’appauvrissement du tiers lésé),  mais la victime conserve la liberté de disposer de la somme, de sorte que nul ne saurait la contraindre à consacrer les fonds reçus à la rémunération d’un assistant ou au paiement de frais d’adaptation de son habitation à son handicap. Un arrêt du 8 juillet 2004, rendu par la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation, affirme ainsi très clairement que « le principe de la réparation intégrale n’implique pas de contrôle sur l’utilisation des fonds alloués à la victime qui conserve leur libre utilisation » (Cass. 2e civ., 8 juill. 2004, n° 02-20199 : Bull. civ. II, n° 391). En conséquence, les juges du fond ne peuvent limiter l’indemnité pour « assistance d’une tierce personne » aux frais effectivement exposés par la victime pour rémunérer un tiers au motif (inopérant) que la ladite victime a essentiellement bénéficié de l’aide (bénévole) de son conjoint (même arrêt), ni subordonner le versement de cette indemnité « à la production de justifications des dépenses effectives » (Cass. 2e civ., 20 juin 2013, n° 12-21548 : Gaz Pal. 9 nov. 2013, p. 24, note F. Bibal). Les juges du fond ne sauraient pas davantage subordonner « le paiement par [l’assureur] des condamnations au titre des frais d’aménagement du logement et des frais d’aménagement d’un véhicule à la fourniture [par la victime] de factures acquittées » (Cass. 2e civ., 8 juill. 2004, n° 02-20199, préc.).

            Les mêmes règles s’appliquent en présence d’une indemnité visant à la réparation d’un préjudice purement matériel, la jurisprudence affirmant, là encore, que « le principe de la réparation intégrale n’implique pas de contrôle sur l’utilisation des fonds alloués à la victime qui conserve leur libre utilisation » (Cass. 2e civ., 7 juill. 2011, n° 10-20373 : RGDA oct. 2011, p. 1107, note A. Pélissier). En conséquence, doit être cassée la décision d’un juge de proximité qui limite à une certaine somme l’indemnisation de dégâts matériels (causés, en l’occurrence, à un véhicule) au motif « qu’aucune facture des réparations n’est produite, de sorte que […] on ne sait pas si [la victime] a procédé à tout ou partie des réparations sur son véhicule » (Cass. 2e civ., 7 juill. 2011, n° 10-20373, préc.). Dans le même ordre d’idée, la victime n’est pas tenue de justifier de l’emploi des fonds obtenus de l’assureur de responsabilité d’un avocat qui a laissé prescrire son action en justice (Cass. 3e civ., 29 mai 2013, n° 12-17349 : Resp. civ. et assur. 2013, comm. 273 ; RDC2013, p. 1345, note S. Carval : « […] ayant relevé que les [victimes] demandaient réparation des dommages résultant de la faute de leur avocat, la cour d’appel a exactement retenu, sans méconnaître le principe de la réparation intégrale, […] [qu’elles] n’étaient pas tenues de justifier de l’emploi des fonds obtenus »).

B) Affirmation du principe de libre disposition, par l’assuré, de l’indemnité due par l’assureur de biens

            Une jurisprudence bien établie confère à l’assuré, dont le bien a été sinistré, le droit d’user de l’indemnité versée par son assureur de choses comme il le souhaite. Ainsi, la Cour de cassation rappelle à intervalle régulier que « l’assuré qui a droit au règlement d’une indemnité, n’est pas tenu, sauf clause particulière, de l’employer à la remise en état [du bien] endommagé, ni de fournir de justifications à cet égard » (Cass. 1re civ., 16 juin 1982, n°81-13080 : RGAT 1983, p. 344, note J. Bigot. Dans le même sens : Cass. 1re civ., 14 févr. 1984, n° 82-14503 : RGAT 1985, p. 35, note J. Bigot. – Cass. 3e civ., 23 nov. 2010, n° 07-20231 : RGDA avr. 2011, p. 487, note J. Kullmann). En conséquence, l’assureur ne peut subordonner son règlement à la production, par l’assuré, de factures acquittées (CE, 11 janv. 2013, n° 351.393 : RGDAavr. 2013, p. 412, note J. Bigot : « la cour a également commis une erreur de droit en exigeant de l’établissement public la production de factures dès lors que l’assuré n’est pas, sauf clause particulière, tenu de procéder aux réparations pour percevoir l’indemnité due par l’assureur »). L’assureur ne saurait non plus soutenir qu’il n’est redevable d’aucune indemnité pour la réfection des enduits intérieurs du local assuré au motif que, le local ayant ultérieurement intégralement péri par suite d’une tempête, l’indemnité ne pourra être affectée à ladite réfection (Cass. 3e civ., 23 nov. 2010, n° 07-20231, préc.). Dans le même ordre d’idée, il ne peut pas être déduit de l’indemnité évaluée par les experts le montant de la TVA applicable aux travaux de remise en état du bien sinistré, quand bien même, l’assuré ayant procédé lui-même aux réparations (Cass. 1re civ., 16 juin 1982, n°81-13080, préc.) ou n’ayant fait aucune réparation (Cass. 1re civ., 14 févr. 1984, n° 82-14503, préc.), il n’a pas eu à débourser la taxe.

            Fermement établi dans le cadre des assurances de responsabilité, comme dans celui des assurances de biens, le principe de libre disposition de l’indemnité n’a cependant pas une portée absolue ; il connait un certain nombre de dérogations d’origine légale, mais également conventionnelle.

2 – Dérogations au principe de libre disposition de l’indemnité d’assurance

A) Dérogations au principe de libre disposition de l’indemnité d’assurance de responsabilité

            En vertu du principe de l’effet relatif des contrats (C. civ., art. 1199 : « Le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties. Les tiers ne peuvent ni demander l’exécution du contrat ni se voir contraints de l’exécuter »), les stipulations de la police venant éventuellement limiter la liberté de disposer de l’indemnité d’assurance sont inopposables au tiers victime, lequel n’est pas partie au contrat d’assurance (Cass. 2e civ., 29 juin 2017, n° 16-19511 : Resp. civ. et assur. 2017, comm. 288, H. Groutel ; RGDA sept. 2017, p. 492, note J.-P. Karila : « en cas d’assurance garantissant la responsabilité civile de l’assuré, une clause subordonnant le versement de l’indemnité à la reconstruction ou à la reconstitution des biens endommagés est inopposable au tiers lésé dont le droit propre ne peut être atteint dans son existence ou dans son principe par un événement postérieur au sinistre et qui peut disposer librement de l’indemnité due par l’assureur, sans être tenu de l’affecter à un usage déterminé »).

            En conséquence, dans le domaine des assurances de responsabilité, les dérogations apportées au principe de libre disposition de l’indemnité par la victime sont nécessairement d’origine légale. Ces dérogations sont au nombre de deux, la loi ne prescrivant l’affectation impérative de l’indemnité à la réparation effective des dommages qu’en présence d’un préjudice environnemental (1°) ou d’une atteinte à un immeuble bâti (2°).

1) Affectation obligatoire de l’indemnité à la réparation du dommage environnemental.

            L’article 1249, alinéa 1, du Code civil prévoit que « la réparation du préjudice écologique s’effectue par priorité en nature ». Cependant, l’alinéa 2 du même texte dispose que, « en cas d’impossibilité de droit ou de fait ou d’insuffisance des mesures de réparation, le juge condamne le responsable à verser des dommages et intérêts, affectés à la réparation de l’environnement, au demandeur ou, si celui-ci ne peut prendre les mesures utiles à cette fin, à l’Etat ».

            En cas de dommage causé à l’environnement, l’indemnité obtenue (à défaut de réparation en nature envisageable) ne peut être librement utilisée par son bénéficiaire, lequel doit impérativement consacrer les sommes versées à la restauration du milieu naturel endommagé.

            La solution s’impose dans la mesure où, en présence d’un préjudice écologique « pur », le titulaire de l’action en réparation (qui peut être, selon l’article 1248 du Code civil, « l’Etat, l’Office français de la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi que les établissements publics et les associations agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d’introduction de l’instance qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement ») ne pâtit pas personnellement du dommage, de sorte qu’il ne serait pas tolérable que les sommes perçues du responsable (ou de son assureur de responsabilité) soient utilisées autrement qu’à la restauration de l’environnement au nom et pour le compte duquel l’action est ouverte. Un auteur souligne très justement que le demandeur à l’action en réparation « n’étant plus un dépositaire mais seulement un vecteur de la réparation, il est logique que les dommages et intérêts qu’il perçoit soient dirigés vers la réparation » (M. Plissonnier, « L’obligation d’affectation des dommages et intérêts », RTD civ. 2024 p.335).

2) Affectation obligatoire de l’indemnité à la réparation de l’immeuble bâti

  1. 121-17 Code des assurances consacre la deuxième dérogation légale au principe de libre disposition de l’indemnité en énonçant que « les indemnités versées en réparation d’un dommage causé à un immeuble bâti doivent être utilisées pour la remise en état effective de cet immeuble ou pour la remise en état de son terrain d’assiette, d’une manière compatible avec l’environnement dudit immeuble ».

            Issu de la loi n°95-101 du 2 février 1995, relative au renforcement de la protection de l’environnement, ce texte, d’ordre public, contraint la victime à affecter l’indemnité versée par le responsable (ou son assureur de responsabilité) à la réparation de l’immeuble endommagé ou du terrain d’assiette de celui-ci (Cass. 2e civ., 18 avr. 2019, n° 18-13371, PB :RDC 13 sept. 2019, p. 27, note G. Viney ; l’arrêt précise que l’article L. 121-17 du Code des assurances est effectivement applicable à l’ensemble des assurances de dommages, y compris aux assurances de responsabilité). Justifiée par des raisons écologiques (comme en témoigne l’intitulé de la loi), la contrainte imposée au bénéficiaire de l’indemnité est strictement subordonnée à la prise d’un arrêté municipal « prescri[van]t les mesures de remise en état, dans un délai de deux mois suivant la notification du sinistre au maire par l’assureur ou l’assuré » (C. assur., art. L. 121-17, al. 3). Cela étant, le versement de l’indemnité n’est pas subordonné à la réalisation préalable des travaux (Cass. 2e civ., 29 mars 2006, n° 05-10841 : RGDA 2006, 412, obs. L. Mayaux ; Resp. civ. et ass. 2006, comm. 210, H. Groutel). Le cas échéant, il appartiendra à l’assureur de démontrer que la victime n’a pas affecté les fonds à la réalisation des travaux prescrits, en vue d’obtenir remboursement des sommes indument versées (Cass. 2e civ., 18 avr. 2019, n° 18-13371, préc.).

            Il faut souligner, enfin, que l’affectation « est limitée au montant des indemnités nécessaires à la réalisation des mesures de remise en état prescrites par le maire », de sorte que l’éventuel surplus reste à la libre disposition de la victime (Cass. 2e civ., 18 avr. 2019, n° 18-13371, préc.).

B) Dérogations au principe de libre disposition de l’indemnité d’assurance de biens

            La jurisprudence ne reconnait pas un caractère d’ordre public au principe de libre disposition de l’indemnité dans le cadre des assurances de choses, de sorte qu’aux dérogations légales (2°) peuvent s’ajouter des dérogations conventionnelles (1°).

1) Dérogations conventionnelles

            Les arrêts, émanant de la Cour de cassation comme du Conseil d’Etat, qui affirment le principe de libre disposition de l’indemnité d’assurance par l’assuré (au titre d’une assurance de biens) réservent tous la possibilité d’une clause contraire (Cass. 1re civ., 16 juin 1982, n°81-13080 : RGAT 1983, p. 344, note J. Bigot : « l’assuré qui a droit au règlement d’une indemnité, n’est pas tenu, sauf clause particulière, de l’employer à la remise en état [du bien] endommagé, ni de fournir de justifications à cet égard ». Dans le même sens : Cass. 1re civ., 14 févr. 1984, n° 82-14503 : RGAT 1985, p. 35, note J. Bigot. – Cass. 3e civ., 23 nov. 2010, n° 07-20231 : RGDA avr. 2011, p. 487, note J. Kullmann. – CE, 11 janv. 2013, n° 351.393 : RGDA avr. 2013, p. 412, note J. Bigot : « l’assuré n’est pas, sauf clause particulière, tenu de procéder aux réparations pour percevoir l’indemnité due par l’assureur »).

            En pratique, il est fréquent que les assurances (notamment contre le risque d’incendie) qui prévoient le versement d’une indemnité équivalente à « la valeur à neuf » du bien mobilier sinistré ou à « la valeur de reconstruction » de l’immeuble endommagé subordonnent le versement de l’indemnité complète (sans abattement pour vétusté) au rachat effectif ou à la reconstruction effective de la chose assurée. Ces clauses, parfaitement légales, contraignent l’assuré à affecter l’indemnité au remplacement ou à la restauration de son bien (dans un délai de deux ans suivant le sinistre, selon les clauses usuelles, lorsqu’il s’agit d’un immeuble).

2) Dérogations légales 

Affectation obligatoire de l’indemnité à la réparation de l’immeuble bâti. L’article L. 121-17 du Code des assurances, issu d’une loi du 2 février 1995, qui impose l’affectation des « indemnités versées en réparation d’un dommage causé à un immeuble bâti » à la « remise en état effective de cet immeuble ou [à la] la remise en état de son terrain d’assiette, d’une manière compatible avec l’environnement dudit immeuble » est applicable à l’ensemble des assurances de dommages (Cass. 2e civ., 18 avr. 2019, n° 18-13371, PB : RDC 13 sept. 2019, p. 27, note G. Viney). L’assuré qui perçoit une somme de son assureur de biens en réparation d’un dommage causé à son immeuble (en raison d’un incendie, d’un dégât des eaux, d’une catastrophe naturelle, etc…), doit, en conséquence, nécessairement utiliser les fonds reçus à la remise en état de l’immeuble assuré (ou du terrain d’assiette de celui-ci) et cela, dans les mêmes conditions que celles qui sont imposées à la victime bénéficiaire d’une indemnité due par un assureur de responsabilité (nous renvoyons donc à ce qui a été dit supra II. A. 2°).

Affectation obligatoire de l’indemnité à la remise en état du bien endommagé par des mouvements de terrains constitutifs d’une catastrophe naturelle. Plus récemment, un décret (n° 2024-82) du 5 février 2024 a inséré dans le Code des assurances un article R. 125-6-1, lequel contraint l’assuré, dont les biens ont été endommagés par des « mouvements de terrains différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols » constitutifs d’une catastrophe naturelle (telle que définie par l’article L. 125-1 du Code des assurances), à utiliser l’indemnité d’assurance «pour la remise en état effective du bien conformément aux recommandations issues du rapport d’expertise ». Le texte précise toutefois que « si le montant des travaux de réparation permettant la remise en état effective du bien est supérieur à la valeur de la chose assurée au moment du sinistre, cette obligation d’utilisation de l’indemnité ne s’applique pas ».

            Lorsque l’obligation d’affectation s’applique, le versement de l’indemnité (ou d’un acompte sur celle-ci) n’est pas subordonné à la réalisation préalable des travaux de remise en état par l’assuré, mais celui-ci demeure tenu d’attester de l’utilisation des fonds en transmettant « à l’assureur les factures justifiant la réalisation des travaux de réparation » (C. assur., art. R. 125-6-1, al. 3). A défaut de réalisation des travaux (ou de transmission à l’assureur des factures correspondant aux travaux réalisés) dans un délai de 24 mois (éventuellement prorogé de 12 mois) suivant acceptation de la proposition d’indemnisation faite par l’assureur, et après mise en demeure restée vaine, l’assuré peut être tenu de rembourser à l’assureur l’indemnité qui lui a été versée (R. 125-6-1, al. 4).

Affectation obligatoire de l’indemnité versée par l’assureur dommages-ouvrage à la réparation des désordres. L’article L. 242-1 du Code des assurances contraint « toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l’ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l’ouvrage, fait réaliser des travaux de construction » à contracter « une assurance garantissant, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs […] sur le fondement de l’article 1792 du code civil ». Sur le fondement de ce texte, lequel fait de l’assurance dommages-ouvrage une assurance garantissant le « paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages », une jurisprudence constante estime que le maître de l’ouvrage atteint de désordres décennaux est tenu d’affecter l’indemnité versée par son assureur à la réparation effective desdits désordres (Cass. 3e civ., 21 novembre 2001, n° 00-14728 : Bull. civ. III, n°132. – Cass. 3e civ., 17 déc. 2003, nos 02-19034 et 01-17608 : Bull. civ. III, n° 232 ; Bull. civ. III, n° 234 ; RGDA 2004, p. 102, note J.-P. Karila ; Resp. civ. et assur. 2004, comm.78 et étude. 6, H. Groutel – Cass. 3e civ., 12 avr. 2005, n° 04-12097). Cette interprétation du texte est confortée par les clauses types applicables à l’assurance dommages-ouvrages, lesquelles prévoient que « l’assuré s’engage à autoriser l’assureur à constater l’état d’exécution des travaux de réparation des dommages ayant fait l’objet d’une indemnisation en cas de sinistre » (C. assur., art. A. 243-1, Annexe II A. Obligations de l’assuré, 3°). Cette obligation qui est faite à l’assuré de permettre à l’assureur de vérifier que les réparations ont bien été réalisées présuppose en effet que l’assuré était tenu d’utiliser l’indemnité perçue à la réfection de l’ouvrage.

            Le versement de l’indemnité n’étant pas subordonné à la réalisation préalable des travaux de réparation de l’ouvrage, il appartient, le cas échéant, à l’assureur de réclamer à l’assuré remboursement des sommes perçues et non affectées à la réfection de l’ouvrage. Une action en répétition de l’indu (fondée sur l’article 1302-1 du Code civil), dirigée contre son assuré, lui est ouverte à cette fin (Cass. 3e civ., 17 déc. 2003, nos 02-19034 et 01-17608, préc.).

Maud Asselain

Un article signé, Maud Asselain, Maître de conférences en Droit privé, Directrice de l’Institut des Assurances de Bordeaux pour Alteas.

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