Les comportements du constructeur légalement exclusifs de garantie
Certains comportements dommageables, parce qu’ils révèlent une intention de nuire, une déloyauté et/ou une désinvolture coupable de la part du constructeur, ne sauraient être pris en charge par l’assureur qui couvre sa responsabilité.
Un arrêt récent de la troisième Chambre civile, en date du 30 mars 2023, est l’occasion de faire le point sur ces comportements qui emportent suppression de la garantie d’assurance.
Le droit spécial applicable à l’assurance de responsabilité décennale (I) et le droit commun de l’assurance (II) interdisent à l’assureur de couvrir les sinistres qui résultent d’un dol, d’une faute dolosive ou d’une faute intentionnelle du constructeur.
I – Le droit spécial
Les clauses-types, auxquelles doivent se conformer impérativement les polices d’assurance garantissant la responsabilité décennale des constructeurs, excluent expressément la garantie de l’assureur en cas de « dommages résultant exclusivement : a) Du fait intentionnel ou du dol du souscripteur ou de l’assureur […] » (C. assur., Annexe I, art. A. 243-1).
Le « fait intentionnel » visé par les clauses-types correspond à la « faute intentionnelle » dont le droit commun exclut pareillement la prise en charge par l’assureur (cf infra).
En revanche, le « dol », dont la commission emporte suppression de la garantie selon ces mêmes clauses-types, est une notion propre aux droits de la responsabilité du constructeur et de l’assurance décennale et ne saurait être assimilé à la « faute dolosive » du droit commun.
Une jurisprudence constante, depuis un arrêt de principe de la troisième chambre civile du 27 juin 2001 (Cass. 3eciv., 27 juin 2001, n° 99-21017 : Bull. civ. III, n° 83 ; D. 2001 jurispr. p. 2995, concl. J.-F.Weber, note J.-P. Karila ; JCP G 2001, II 10626, note P. Malinvaud), estime que la faute dolosive du constructeur n’est caractérisée, au sens des clauses-types, que « lorsque, de propos délibéré, même sans intention de nuire, [ledit constructeur] viole par dissimulation ou fraude ses obligations contractuelles » (dans le même sens : Cass. 3e civ., 27 mars 2013, n° 12-13840 : Bull. civ. III, n° 39. – Cass. 3e civ., 5 janv. 2017, n° 15-22772 : JCP G 2017, p. 760, note J.-P. Karila ; D. 2017, p. 392, note D. Mazaud ; RGDA févr. 2017, p. 126, note P. Dessuet. – Cass. 3e civ., 12 juill. 2018, n° 17-20627 : Bull. civ. III, n° 84).
Contrairement à la faute intentionnelle (cf infra), le dol peut être retenu alors même que le constructeur n’était pas animé par une intention de nuire au maître de l’ouvrage. Il demeure que, pour être qualifié de dolosif au sens des clauses-types, le comportement du constructeur doit faire apparaître une faute grave caractérisée par des manœuvres, des mensonges ou un silence coupable destinés à tromper le partenaire contractuel afin de lui faire accroire que les travaux de construction ont été correctement exécutés.
Ainsi, il a été jugé que commet un dol le vendeur d’immeuble en l’état futur d’achèvement auteur d’un « mensonge sur la qualité de ses fondations, renforcé par la remise d’une attestation [qu’il savait fausse] » (Cass. 3e civ., 27 juin 2001, n°99-21017, préc.). Il en va de même du constructeur qui s’abstient délibérément de renforcer des fondations, alors qu’il avait « connaissance […] de l’insuffisance notoire des fondations à un moment où il était encore possible d’y remédier » (Cass. 3e civ., 27 mars 2013, n° 12-13840, préc.) ou du constructeur qui, ayant conscience « de la modification de la structure réalisée sur la charpente […] et [des] insuffisances du plancher » a « remis les clefs de la maison en demeurant taisant » (Cass. 3e civ., 12 juill. 2018, n° 17-20627, préc.). En revanche, le fait de s’abstenir de prendre « les précautions élémentaires pour surveiller la totalité de l’exécution des travaux de gros-œuvre » est insuffisant pour caractériser un dol (Cass. 3e civ., 5 janv. 2017, n° 15-22772, préc.)
Remarque : l’action en responsabilité intentée contre le constructeur en raison du dol qu’il a commis échappe à la prescription décennale propre au droit de la construction. Cette action obéit au régime de droit commun de l’article 2224 du Code civil et n’est en conséquence prescrite qu’au terme d’un délai de cinq ans à compter du jour où le maître de l’ouvrage a eu ou aurait dû avoir connaissance du dol. Il en résulte que l’action en réparation demeure recevable alors même que plus de dix ans se sont écoulés depuis la réception de l’ouvrage (Cass. 3e civ., 27 juin 2001, n°99-21017, préc. : « le constructeur, nonobstant la forclusion décennale, est […] contractuellement tenu à l’égard du maître de l’ouvrage de sa faute dolosive ». Dans le même sens : Cass. 3e civ., 27 mars 2013, n° 12-13840, préc.).
II – Le droit commun
L’article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances énonce que « l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré ».
1 – La faute intentionnelle
Des arrêts de jurisprudence, il ressort que la faute ne peut être qualifiée d’intentionnelle, au sens de l’article L. 113-1 du Code des assurances ou au sens des clauses-types propres à l’assurance construction (C. assur., Annexe I, art. A. 243-1), que si l’on relève chez son auteur la volonté de provoquer le dommage « tel qu’il est survenu » (en ce sens : Cass. 1re civ., 25 mars 1980, n° 78-16.137, RGAT 1980. 373. – Cass. 1re civ., 27 mai 2003, nos 01-10.478 et 01-10.747, Bull. civ.III, n° 125 ; RDI 2003. 438, obs. L. Grynbaum ; Resp. civ. et assur. 2003, comm. 282, H. Groutel ; RGDA 2003, p. 463, note J. Kullmann. – Cass. 2e civ., 23 sept. 2004 : Bull. civ. II, n°410 ; Resp. civ. et assur. 2004, comm. 389, H. Groutel ; D. 2005, somm. p. 1324, obs. H. Groutel ; Cass. 3e civ., 9 nov. 2005 Bull. civ. III, n°214 ; Resp. civ. et assur. 2005, comm. 370 (3e esp.), note H. Groutel ; RGDA 2006, p. 632 (1re esp.), note J. Kullmann. – Cass. 2e civ., 24 mai 2006, n° 03-21.024. – Cass. 2e civ., 1er juill. 2010, n° 09-14.884, Bull. civ. II, n° 131 ; RGDA 2010. 684, note J. Kullmann ; Resp. civ. et assur. 2010, comm. 263, H. Groutel. – Cass. 2e civ., 6 février 2014 : RGDA avr. 2014, p. 214, note M. Asselain. – Civ. 2e, 28 mars 2019, n° 18-15.829, RGDA mai 2019, p. 13, note A. Pimbert).
Il en résulte qu’il ne suffit pas que l’assuré ait voulu l’acte ou l’omission à l’origine du dommage, il faut encore qu’il en ait recherché les conséquences dommageables. En d’autres termes, la faute intentionnelle, au sens du droit commun de l’assurance comme du droit spécial des assurances construction, se caractérise par une intention de nuire, intention qu’il incombe à l’assureur qui entend se libérer de son obligation de garantie de démontrer.
L’étroitesse de la définition jurisprudentielle de la faute intentionnelle, les difficultés de preuve, ainsi que le constat que les comportements dommageables des professionnels de la construction sont dictés le plus souvent par des motifs égoïstes (gain de temps et/ou d’argent), et non par l’intention de causer un préjudice au maître de l’ouvrage, expliquent que l’assureur de responsabilité du constructeur ne parvient pratiquement jamais à échapper à son obligation de garantie en invoquant la commission d’une faute intentionnelle légalement exclusive de garantie (V. Cass. 3e civ., 11 juill. 2012 : Bull. civ. III, n°107 ; RGDA 2013, p. 56, note J.-P. Karila, LEDA sept. 2012, A la une, P.-G. Marly : cassation de la décision d’appel qui qualifie d’intentionnelle la faute commise par un entrepreneur, au motif que celui-ci avait effectué la construction d’une maison en sachant que les fondations étaient inadaptées et que, fatalement, des désordres allait survenir, alors qu’il n’était pas constaté « que l’assuré avait eu la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu ». – Cass. 3e civ., 29 mai 2013, n° 12-20.215 : Resp. civ. et assur. 2013, comm. 280 : idem en présence d’un assuré, entrepreneur de travaux, qui avait utilisé, avec la conscience que des dommages en résulteraient nécessairement, un bois qu’il savait défectueux, pour la construction d’un ponton. La troisième Chambre civile considère que « ne donne pas de base légale à sa décision la cour d’appel qui estime que la société assurée, consciente du caractère défectueux des produits mis en œuvre et de leur inéluctable dégradation, a commis une faute intentionnelle ayant pour effet de retirer au contrat d’assurance son caractère aléatoire », alors que ces motifs « ne suffisent pas à caractériser la volonté de la société [assurée] de causer le dommage tel qu’il s’est produit ». – Cass. 3e civ., 13 juill. 2016, n° 15-20.512 : RGDA 2016, p. 410, note P. Dessuet. En l’espèce, dans le cadre de travaux de reprise des désordres en façade d’un immeuble, l’entreprise assurée s’était délibérément abstenue de procéder au traitement imperméabilisant indispensable pour remédier aux dommages. La cour d’appel avait libéré l’assureur de responsabilité de l’entrepreneur au motif que ladite entreprise avait commis « une inexécution délibérée et consciente [de ses obligations contractuelles], [laquelle], compte tenu de son ampleur, dont [l’entreprise], professionnelle des travaux de bâtiment, ne pouvait ignorer les conséquences » était constitutive d’une « faute intentionnelle exclue de la garantie de [l’assureur] ». La décision d’appel est cassée au motif que, « en statuant ainsi, par des moyens impropres à caractériser la volonté de l’assuré de causer le dommage tel qu’il est survenu, la cour d’appel a violé [l’article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances] »).
Dans ce contexte où l’exonération de l’assureur de responsabilité sur le fondement de la faute intentionnelle est quasiment illusoire, l’admission récente, par la troisième Chambre civile, de l’autonomie de la « faute dolosive » – désormais distincte de la faute intentionnelle – est de nature à ouvrir aux assureurs garantissant la responsabilité des constructeurs de nouvelles perspectives de « libération ».
2 – Faute dolosive
L’article L. 113-2, alinéa 2, du Code des assurances vise, à côté de la faute intentionnelle, « la faute dolosive », laquelle est également exclusive de la garantie de l’assureur.
Pendant très longtemps, cette faute dolosive fut strictement assimilée à la faute intentionnelle et donc définie, comme cette dernière, comme une faute volontaire impliquant, chez son auteur, la volonté de causer le dommage tel qu’il est survenu (Cass. 1re civ., 25 mars 1980 : RGAT 1980, p. 505 ; Cass. 1re civ., 7 mai 1980 et 20 janv. 1981: RGAT 1981, p. 375 ; Cass. 1re civ., 22 mars 1983 : Bull. civ. I, n°102 : « Il n’y a faute intentionnelle ou dolosive, au sens de l’article L. 113-1 du Code des assurances, que si l’assuré a voulu, non seulement l’action ou l’omission génératrice du dommage, mais encore le dommage lui-même »).
La deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a progressivement abandonné cette vision « moniste » de la faute légalement exclusive de garantie au sens de l’article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances, au profit d’une vision « dualiste » (Cass. 2e civ., 22 sept. 2005 : Resp. civ. et assur. 2005, comm. 370 (1re esp), note H. Groutel ; RGDA2005, p. 907, note J. Kullmann. – Cass. 2e civ., 30 juin 2011 : Resp. civ. et assur. 2012, étude 6, H. Groutel ; RGDA 2011, p. 960, note J. Bigot. – Cass. 2e civ., 14 juin 2012 : RGDA 2012, p. 1021, note J. Bigot ; Resp. civ. et assur. 2012, étude 6, H. Groutel. – Cass. 2e civ., 11 déc. 2014 : RGDA févr. 2015, p. 85, note M. Asselain. – Cass. 2e civ., 25 oct. 2018, n° 16-23.103 : Resp. civ. et assur. janv. 2019, comm. 32, Rep. 1, H. Groutel). Deux arrêts marquent l’aboutissement de cette évolution. Le premier, en date du 20 mai 2020, affirme très nettement l’autonomie de la faute dolosive en énonçant que « la faute intentionnelle et la faute dolosive, au sens de l’article L. 113-1 du Code des assurances, sont autonomes, chacune justifiant l’exclusion de garantie dès lors qu’elle fait perdre à l’opération d’assurance son caractère aléatoire » (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-11538 : RGDA sept. 2020, p. 24 et chron., p. 7, J. Kullmann). Le second, en date du 20 janvier 2022, donne une définition claire de la faute dolosive en énonçant qu’elle « s’entend d’un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageable » (Cass. 2e civ., 20 janv. 2022, n° 20-13245 : RGDA mai 2022, p. 25, note A. Pélissier).
La troisième Chambre civile a longtemps conservé une conception « moniste » de la faute légalement exclusive de garantie, de sorte qu’elle n’admettait la libération de l’assureur, notamment de l’assureur d’un constructeur, sur le fondement de l’article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances que lorsqu’était rapportée la preuve que l’assuré avait recherché le dommage tel qu’il était survenu (Cass. 3e civ., 11 juill. 2012 : Bull. civ. III, n°107 ; RGDA 2013, p. 56, note J.-P. Karila, LEDA sept. 2012, A la une, P.-G. Marly. – Cass. 3e civ., 29 mai 2013, n° 12-20.215 : Resp. civ. et assur. 2013, comm. 280. – Cass. 3e civ., 11 juin 2013, n° 12-16.530 : Resp. civ. et assur. 2013, comm. 316. – Cass. 3e civ., 13 juill. 2016, n° 15-20.512 : RGDA 2016, p. 410, note P. Dessuet).
Cette jurisprudence n’est cependant plus d’actualité. La troisième Chambre civile a en effet opéré un revirement de jurisprudence spectaculaire avec un arrêt du 30 mars 2023. Par cet arrêt, la troisième Chambre rallie clairement la position de la deuxième Chambre. Après avoir énoncé que « selon l’ article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances, l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré » et que « la faute dolosive s’entend d’un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables », la troisième Chambre civile approuve une cour d’appel qui avait écarté la garantie de l’assureur de responsabilité d’un architecte d’intérieur, dont le comportement (la copie – sans autorisation – de l’œuvre d’un tiers) avait eu « pour effet de rendre inéluctable la réalisation du dommage et de faire disparaître l’aléa attaché à la couverture du risque » ( Cass. 3e civ., 30 mars 2023, n° 21-21084, publié au Bulletin : RGDA mai 2023, p. 21, note L. Mayaux ; RGDAjuin 2023, p. 11, note J.-P. Karila ; Resp. civ. et assur. mai 2023, com. 135, S. Bertolaso).
L’on ne saurait dire, à l’heure actuelle, si la troisième Chambre civile va appliquer sa jurisprudence nouvelle au constructeur. La doctrine est hésitante (V. J.-P. Karila, note préc.). Il est vrai que le droit spécial de l’assurance de responsabilité décennale exclut la garantie de l’assureur en cas de dommage résultant exclusivement du « dol » du constructeur (cf supra I) et que l’on pourrait soutenir que la mise en œuvre de l’exclusion de la faute dolosive du droit commun est nécessairement écartée, au nom du principe « specialia generalibus derogant ». Il demeure que le droit spécial ne concerne que l’assurance construction obligatoire et non l’assurance de la responsabilité contractuelle ou délictuelle encourue par le constructeur lorsque sa responsabilité décennale n’est pas en cause. De sorte que l’admission de la faute dolosive comme cause d’exonération au moins de l’assureur de responsabilité non-décennale du constructeur devrait s’imposer. Ce qui aura un impact certain pour les maître d’ouvrages, car la faute dolosive (qui les privent de la garantie d’assurance du constructeur) est une notion évidemment plus large que la faute intentionnelle et certainement plus large également que le « dol » visé par les clauses-types ; la faute dolosive peut en effet être constituée d’une faute quelconque, non grave, pourvue qu’elle soit délibérée et accomplie avec la conscience qu’un dommage en résultera inévitablement.
Maud Asselain