Alors que la majeure partie des assurances présente un caractère facultatif, il en va différemment de l’assurance de responsabilité civile automobile, laquelle est obligatoire. L’article L. 211-1 du Code des assurances énonce en effet que « toute personne physique ou toute personne morale autre que l’Etat, dont la responsabilité civile peut être engagée en raison de dommages subis par des tiers résultant d’atteintes aux personnes ou aux biens dans la réalisation desquels un véhicule est impliqué, doit, pour faire circuler celui-ci, être couverte par une assurance garantissant cette responsabilité ».
Au 1er janvier 2024, la France comptait 39,3 millions de voitures en circulation (source : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr). Si l’on se fie à l’évaluation de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, lequel estime que 350 000 « seulement » de ces véhicules circulent sans assurance (source : https://www.onisr.securite-routière.gouv.fr), l’obligation d’assurance est respectée par près de 39 millions de conducteurs, ce qui fait de l’assurance RC auto l’une des plus répandues. Paradoxalement, l’étendue des garanties qu’elle fournit demeure, si l’on en croit le nombre d’idées reçues qui ont cours à son sujet, fort mal connue des assurés.
Il faut souligner que, lorsque la loi impose, comme ici, la souscription d’une assurance, les parties au contrat perdent quasiment toute liberté dans la délimitation des risques couverts. L’obligation d’assurance posée par le législateur a en effet pour objectif de protéger les intérêts des tiers victimes et/ou ceux des assurés. Or cet objectif ne serait pas atteint si l’on permettait aux contractants de contourner l’obligation en souscrivant des polices dont les garanties seraient dérisoires par leur étendue ou leur montant. Il en résulte que le caractère obligatoire de la souscription s’étend nécessairement au contenu du contrat.
Le Code des assurances fixe ainsi impérativement le contenu du contrat d’assurance de responsabilité civile automobile. La lecture de ses dispositions permet, comme nous nous proposons de le faire, de tordre le cou à quelques idées reçues.
Nota : la plupart des contrats d’assurance auto comporte, outre la garantie obligatoire des dommages causés aux tiers, des garanties facultatives, telles que celle des dommages que le conducteur se causerait à lui-même ou causerait à son propre véhicule sans qu’un autre véhicule soit impliqué dans l’accident. S’agissant de ces garanties facultatives, les parties retrouvent leur liberté et peuvent stipuler les clauses, notamment les exclusions, qu’elles souhaitent, de sorte que seule la lecture de la police souscrite permet de connaitre l’étendue exacte de la couverture –facultative – accordée par l’assureur. Les développements qui suivent ne concernent que la garantie obligatoire, laquelle est identique pour tous, du risque de responsabilité civile encouru à l’égard des tiers victimes d’un accident de la circulation.
1 – Si je cause un accident alors que j’étais en état d’ivresse ou sous l’emprise de stupéfiants, l’assureur ne garantit pas. FAUX
L’un des lieux communs les plus répandus est que la garantie de l’assureur de responsabilité est exclue lorsque le conducteur du véhicule assuré impliqué dans l’accident avait un taux d’alcoolémie supérieur au maximum autorisé ou se trouvait sous l’emprise de produits stupéfiants. Cette affirmation est entièrement fausse. En effet, comme nous l’avons indiqué plus haut, le contenu de la police d’assurance RC auto est strictement règlementé par le législateur. En conséquence, l’assureur ne peut stipuler des exclusions autres que celles qui sont expressément autorisées par les articles R. 211-10 et R. 211-11 du Code des assurances.
Le premier de ces textes énonce que « Le contrat d’assurance peut, sans qu’il soit contrevenu aux dispositions de l’article L. 211-1 comporter des clauses prévoyant une exclusion de garantie dans les cas suivants :
1° Lorsque au moment du sinistre, le conducteur n’a pas l’âge requis ou ne possède pas les certificats, en état de validité, exigés par la réglementation en vigueur pour la conduite du véhicule, sauf en cas de vol, de violence ou d’utilisation du véhicule à l’insu de l’assuré ;
2° En ce qui concerne les dommages subis par les personnes transportées, lorsque le transport n’est pas effectué dans les conditions suffisantes de sécurité fixées par un arrêté conjoint du ministre de l’économie et des finances, du garde des sceaux, ministre de la justice, du ministre de l’intérieur, du ministre de la défense et du ministre chargé des transports ».
Quant à l’article R. 211-11 du Code des assurances, il autorise l’assureur à « exclure de la garantie la responsabilité encourue par l’assuré :
1° Du fait des dommages causés par le véhicule lorsqu’il transporte des sources de rayonnements ionisants destinés à être utilisées hors d’une installation nucléaire, dès lors que lesdites sources auraient provoqué ou aggravé le sinistre ;
2° paragraphe abrogé.
3° Du fait des dommages causés par le véhicule, lorsqu’il transporte des matières inflammables, explosives, corrosives ou comburantes et à l’occasion desquels lesdites matières auraient provoqué ou aggravé le sinistre ; toutefois la non-assurance ne saurait être invoquée du chef de transports d’huiles, d’essences minérales ou de produits similaires, ne dépassant pas 500 kilogrammes ou 600 litres, y compris l’approvisionnement de carburant liquide ou gazeux nécessaire au moteur ;
4° Du fait des dommages survenus au cours d’épreuves, courses, compétitions ou leurs essais, soumis par la réglementation en vigueur à l’autorisation préalable des pouvoirs publics ».
L’exclusion de garantie qui serait fondée sur une conduite en état d’ivresse ou sous l’emprise de stupéfiants ne figurant pas dans la liste limitative des exclusions permises par les articles R. 211-10 et R. 211-11du Code des assurances, elle est nécessairement invalide et ne saurait être opposée aux victimes pour refuser toute indemnisation.
2 – Si je conduis en état d’ivresse ou sous l’emprise de stupéfiants, l’assureur, après indemnisation des dommages causés aux tiers, a le droit de me demander remboursement des indemnités versées. FAUX.
Cette idée reçue, qui est une variante de la précédente, voudrait que l’assureur, après avoir indemnisé les victimes du véhicule conduit par un assuré ivre ou drogué, puisse réclamer un remboursement intégral à celui-ci. C’est inexact. L’article L. 211-6 du Code des assurances énonce en effet très clairement que « est réputée non écrite toute clause stipulant la déchéance de la garantie de l’assuré en cas de condamnation pour conduite en état d’ivresse ou sous l’empire d’un état alcoolique ou pour conduite après usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants ».
Il se déduit de ce texte que l’assuré – quand bien même serait-il condamné pénalement – demeure à l’abri des conséquences financières de sa responsabilité civile, l’assureur n’étant pas autorisé à se ménager un recours contre lui en raison des infractions commises.
3 – Si le nombre de passagers que je transporte à l’intérieur de mon véhicule excède le nombre de places assises figurant sur la carte grise, l’assureur ne garantit pas. FAUX.
Aucune disposition du Code des assurances n’autorise l’assureur RC auto à exclure globalement sa garantie en cas de dommages causés aux tiers par le véhicule assuré lorsqu’il transporte un nombre excessif de passagers.
Les dommages causés aux tiers ayant pris place dans un autre véhicule que le véhicule assuré (et « surchargé ») seront toujours couverts par l’assureur.
S’agissant des dommages causés aux passagers (en surnombre) transportés par le véhicule assuré, l’article R. 211- 10, 2° du Code des assurances permet, certes, à l’assureur de stipuler une exclusion de garantie « en ce qui concerne les dommages subis par les personnes transportées, lorsque le transport n’est pas effectué dans les conditions suffisantes de sécurité fixées par un arrêté conjoint du ministre de l’économie et des finances, du garde des sceaux, ministre de la justice, du ministre de l’intérieur, du ministre de la défense et du ministre chargé des transports ». Mais l’article A. 211-3 du Code des assurances (auquel renvoie l’article R. 211-10, 2° en visant « l’arrêté conjoint ») retient une conception particulièrement souple du « transport effectué dans des conditions suffisantes de sécurité ». Ce texte énonce en effet que « pour l’application du 2° de l’article R. 211-10, le transport est considéré comme effectué dans des conditions suffisantes de sécurité :
- a) En ce qui concerne les voitures de tourisme, les voitures de place et les véhicules affectés au transport en commun de personnes, lorsque les passagers sont transportés à l’intérieur des véhicules ;
- b) En ce qui concerne les véhicules utilitaires, lorsque les personnes transportées ont pris place, soit à l’intérieur de la cabine, soit sur un plateau muni de ridelles, soit à l’intérieur d’une carrosserie fermée et lorsque leur nombre n’excède pas huit en sus du conducteur ; en outre, le nombre des personnes transportées hors de la cabine ne doit pas excéder cinq.
Pour l’application des précédentes dispositions, les enfants de moins de dix ans ne comptent que pour moitié ;
- c) En ce qui concerne les tracteurs n’entrant pas dans la catégorie b, lorsque le nombre des personnes transportées ne dépasse pas celui des places prévues par le constructeur ;
- d) En ce qui concerne les véhicules à deux roues et les triporteurs, lorsque le véhicule ne transporte qu’un seul passager en sus du conducteur ; un second passager peut toutefois être transporté lorsque le véhicule est un tandem.
En outre, lorsque le véhicule est muni d’un side-car, le nombre des personnes transportées dans celui-ci ne doit pas dépasser celui des places prévues par le constructeur ; la présence d’un enfant de moins de cinq ans, accompagné d’un adulte, n’implique pas le dépassement de cette limite ;
- e) En ce qui concerne les remorques et semi-remorques, lorsque celles-ci sont construites en vue d’effectuer des transports de personnes et lorsque les passagers sont transportés à l’intérieur de la remorque ou de la semi-remorque».
De l’article A. 211-3, a), du Code des assurances il se déduit que, sous réserve qu’ils aient pris place à l’intérieur du véhicule assuré, tous les passagers transportés seront indemnisés des dommages causés par l’accident et cela quel que soit leur nombre, car leur transport doit être considéré comme effectué dans des « conditions suffisantes de sécurité », ce qui écarte le jeu de l’exclusion de garantie.
4 – Je ne me sers plus de mon véhicule, lequel est garé dans un lieu privé (tel un garage ou une cour) ; en conséquence je ne suis plus tenu de souscrire une assurance RC auto. FAUX.
En sa qualité de membre de l’Union européenne, la France est soumise aux directives européennes et, notamment, aux directives n° 72/166/CE du 24 avril 1972 et n° 2009/103/CE du 16 septembre 2009, lesquelles prévoient que « chaque État membre prend toutes les mesures utiles (…) pour que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur son territoire soit couverte par une assurance ».
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) se réserve le soin de définir la notion de « circulation des véhicules » et, en conséquence, le champ d’application de l’obligation d’assurance (CJUE, 4 sept. 2014, aff. C-162/13, Vnuk – points 41 et 42 – : RGDA oct. 2014, p. 506, note J. Landel ; CJUE, 28 nov. 2017, aff. C-514/16, Rodrigues de Andrade – point 31 – : RGDA janv. 2018, p. 59, note J. Landel ; CJUE, 20 déc. 2017, aff. C‑334/16, Núñez Torreiro – point 24 – : RGDA févr. 2018, p. 127, note J. Landel : « la notion de circulation des véhicules ne saurait être laissée à l’appréciation de chaque État membre, mais doit trouver, dans toute l’Union européenne, une interprétation autonome et uniforme, qui doit être recherchée en tenant compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie »). Or, par une décision du 4 septembre 2018 (considérant 42), la CJUE a très clairement décidé « qu’un véhicule qui est immatriculé et n’a donc pas été retiré régulièrement de la circulation, et qui est apte à circuler, répond à la notion de « véhicule », au sens de l’article 1 er, point 1, de la première directive, et ne cesse, par conséquent, pas de relever de l’obligation d’assurance énoncée à l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, au seul motif que son propriétaire n’a plus l’intention de le conduire et l’immobilise sur un terrain privé » (CJUE, gde ch., 4 sept. 2018, aff. C-80/17 : RGDA oct. 2018, p. 467, note J. Landel).
Il ressort de cet arrêt qu’un véhicule inutilisé et stationné dans un lieu privé demeure néanmoins soumis à l’obligation d’assurance.
Maud Asselain