En cas de succession de contrats dans le temps, quel assureur doit prendre en charge le sinistre ?

            Les particuliers et peut-être plus encore les entreprises sont rarement fidèles au même assureur dans la durée ou, s’ils le sont, les garanties qu’ils souscrivent évoluent, ce qui, dans un cas comme dans l’autre, donne lieu à une succession de contrats d’assurance. Dès lors, lorsqu’un sinistre survient, il convient de déterminer l’assureur (ou le contrat) dont les garanties devront être sollicitées. A priori, la solution est évidente : l’assureur tenu à garantie est celui dont le contrat était en cours au moment de la survenance du sinistre. L’application de cette règle ne soulève aucune difficulté lorsqu’une assurance de biens est en cause. Ainsi le vol ou l’incendie sera couvert par la compagnie dont les garanties étaient en vigueur (et dans la limite de ces garanties) à la date de survenance de ces événements dommageables. En revanche, en matière d’assurance de responsabilité civile, les choses se compliquent singulièrement. Cette complexité provient du fait que, dans ce type d’assurances, le sinistre comporte plusieurs éléments dont la réalisation s’échelonne dans le temps (certains auteurs, notamment J. Kullmann, in Lamy Assurances 2024, n° 116, parlent à cet égard de risque ou de sinistre « composite »). Ainsi, le fait dommageable (c’est-à-dire le fait générateur, le fait à l’origine du dommage) peut précéder de plusieurs jours, mois, voire années, l’apparition du dommage lui-même, la réclamation de la victime et la condamnation judiciaire de l’assuré responsable intervenant encore ultérieurement. Ainsi, par exemple, des tuiles défectueuses ont été livrées (fait dommageable) par l’entreprise assurée en 2020, elles se délitent (réalisation du dommage) sous l’effet du gel durant l’hiver 2021, la victime réclame indemnisation en 2022, tandis que la responsabilité de l’assuré n’est établie qu’en 2024. En pareil cas, en supposant que plusieurs assureurs se sont succédés entre 2020 et 2024, lequel d’entre eux doit prendre en charge le sinistre ? Celui dont le contrat était en vigueur au moment de la survenance du fait dommageable ou au jour de la réalisation du dommage ? Doit-on plutôt solliciter les assureurs dont les garanties étaient en cours à la date de la réclamation de la victime ou au jour du jugement condamnant l’assuré ? La question est d’importance car les garanties fournies par des contrats successifs sont rarement strictement équivalentes. Ainsi, si l’on reprend l’exemple précédent, le contrat de 2020 peut comporter une exclusion de garantie que ne reprend pas la police de 2021, de sorte que, selon l’assureur désigné, l’assuré sera ou non garanti ; le contrat en vigueur en 2024 peut prévoir un plafond de garantie très supérieur à celui de 2021, de sorte que, s’il est appelé à jouer, l’assuré sera nettement mieux couvert.

            Conscient de cette difficulté, le législateur s’est efforcé, d’abord, de déterminer les garanties appelées à jouer en précisant les conditions de mise en œuvre de celles-ci (I). Ces conditions sont cependant telles que le risque d’un chevauchement des garanties accordées par des contrats successifs n’a pu être entièrement écarté. C’est pourquoi le législateur a ensuite pris soin, dans les hypothèses où plusieurs assureurs pourraient être tenus de couvrir le même sinistre, de désigner celui d’entre eux qui sera seul ou prioritairement appelé à fournir sa garantie (II).

1 – Conditions de mise en œuvre des garanties

            L’article L. 124-5 du Code des assurances a instauré deux systèmes de déclenchement des garanties désignés par la doctrine sous les noms de « système base fait dommageable » et « système base réclamation ». Selon le même texte, les personnes physiques qui contractent afin de garantir leur responsabilité en dehors de leur activité professionnelle doivent nécessairement souscrire une police « en base fait dommageable » (A), tandis que les professionnels et les personnes morales peuvent librement opter entre les deux mécanismes et, en conséquence, préférer une police « en base réclamation » (B).

A) Système « base fait dommageable »

            En application de l’article L. 124-5, alinéa 3, du Code des assurances, lorsque la police a été souscrite « en base fait dommageable », c’est la date de ce fait qui est déterminante. L’assureur est en effet tenu de couvrir tout dommage dont le fait générateur s’est produit entre la date de prise d’effet et la date de résiliation ou d’expiration de la garantie fournie par le contrat, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs du sinistre (C. assur., art. L. 124-5, al. 3).

            Il en résulte que la victime a droit à l’indemnité d’assurance dès lors que le dommage dont elle pâtit trouve son origine dans un événement qui s’est produit pendant la durée de validité des garanties, quand bien même le dommage lui-même ne se manifesterait que plusieurs années après l’extinction du contrat, sous réserve, cependant, que ladite victime agisse avant que son action en responsabilité ne soit prescrite. En d’autres termes, dans le « système base fait dommageable », l’assureur doit sa garantie aussi longtemps que la responsabilité de son assuré est susceptible d’être engagée par le tiers lésé.

B) Système « base réclamation »

            Dans le régime dit « en base réclamation », visé par l’article L. 124-5, alinéa 4, du Code des assurances, la garantie de l’assureur est subordonnée au cumul de deux conditions. D’une part il est nécessaire que le dommage dont il est demandé réparation trouve son origine dans un fait générateur survenu avant la date d’expiration ou de résiliation de la garantie. D’autre part, il est impératif que la réclamation de la victime (adressée à l’assuré ou à l’assureur) intervienne au plus tard avant l’écoulement d’un délai subséquent à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie mentionnée au contrat.

            Le délai de garantie subséquent ne peut être inférieur à 5 ans (C. assur., art. L. 124-5, al. 5). Ce délai est porté à 10 ans minimum lorsque le contrat couvre la responsabilité de certains professionnels, tels que les notaires, les avocats, les huissiers, les commissaires-priseurs, les syndics de copropriété, etc. (pour la liste complète, v. C. assur., art. R. 124-2).

            Ce régime contraint l’assureur à « une reprise du passé ». L’assureur est en effet tenu de garantir les dommages qui trouvent leur origine dans un fait survenu avant l’expiration de la police, quand bien même ce fait serait antérieur à la conclusion de celle-ci. Afin de prévenir les fraudes et de préserver l’aléa qui est de l’essence de l’assurance, la loi précise toutefois que « l’assureur ne couvre pas l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s’il établit que l’assuré avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie » (C. assur., art. L. 124-5, al. 4, in fine). Autrement dit, l’assureur n’est garant que « du passé inconnu ».

2 – Détermination de l’assureur tenu à garantie

            En cas de changement d’assureur ou de souscription de plusieurs polices successives, l’application des conditions de mise en œuvre des garanties (évoquées ci-dessus) peut permettre la désignation simple et immédiate du seul l’assureur qui doit sa garantie ou de la seule police qui peut être sollicitée. A côté de ces cas simples (A), il existe des hypothèses plus complexes qui font apparaître un chevauchement des garanties fournies par les contrats successifs, chevauchement qui appelle la mise en œuvre de règles spécifiques (B).

A) Les cas simples

            La détermination de l’assureur tenu à garantie ne soulève aucune difficulté lorsque la souscription de contrats successifs n’entraîne aucun chevauchement de garanties, ce qui est le cas lorsque les polices ont toutes été souscrites « en base fait dommageable » (1°), ou lorsqu’une police « en base fait dommageable » succède à une police « en base réclamation » (2°).

1) Succession de polices « en base fait dommageable »

            Ici aucun chevauchement de garanties n’est possible. Les contrats s’articulent naturellement. La date du fait générateur détermine le contrat appelé – seul – à jouer : l’assureur tenu à garantie est celui dont le contrat était en vigueur au moment de la survenance du fait à l’origine du dommage. Si l’on reprend l’exemple (utilisé dans l’introduction) de tuiles défectueuses livrées par l’assuré en 2020, seul le contrat d’assurance en cours à cette date pourra être mis en œuvre pour garantir le sinistre. Les conditions de la garantie des polices souscrites (toutes « en base fait dommageable ») antérieurement comme postérieurement à la police de 2020 ne sont en effet pas remplies, le fait générateur du sinistre s’étant produit soit après, soit avant la période de validité desdites polices.

2) Succession d’une police « en base réclamation » et d’une police « en base fait dommageable »

            Là encore, la simple application des conditions de mise en œuvre des contrats successifs permet de désigner l’assureur seul tenu à garantie, car aucun chevauchement n’apparait. La date de survenance du fait générateur du dommage suffit pour déterminer le contrat appelé à jouer. Si ce fait est antérieur au contrat souscrit « en base fait dommageable », la garantie de ce contrat ne peut pas être sollicitée, seul l’assureur antérieur (dont la police est « en base réclamation ») pourra être tenu à garantie (sous réserve que la victime réclame son indemnisation avant l’écoulement du délai subséquent). Si, inversement, le fait à l’origine du dommage s’est produit sous l’empire du second contrat (« en base fait dommageable »), seule la garantie de celui-ci est due, à l’exclusion de celle du contrat antérieur, l’assureur « en base réclamation » n’étant pas tenu de couvrir les sinistres qui trouvent leur origine dans un fait survenu après la date d’extinction de sa police.

A) Les cas complexes engendrant un chevauchement de garanties

            Un chevauchement des garanties fournies par des contrats successifs est concevable, d’une part dans l’hypothèse où les diverses polices ont toutes été souscrites « en base réclamation » (1°), d’autre part dans l’hypothèse où une police « en base réclamation » succède à une police « en base fait dommageable » (2°).

1) Contrats successifs souscrits en « base réclamation »

            Ici un chevauchement des garanties est possible, en raison de « la reprise du passé » qui s’impose aux assureurs successifs.

            Ainsi, en reprenant le même exemple, le fait dommageable (livraison des tuiles défectueuses) s’étant produit en 2020, le premier assureur est tenu, mais également le second (dont la police était en vigueur en 2021, date d’apparition des dommages) et le troisième (dont la police était en vigueur en 2022, date à laquelle la victime réclame son indemnisation), car le fait générateur du dommage est antérieur à la date d’extinction des garanties que ces trois assureurs ont accordées (Nota : seul l’assureur de 2024 pourrait être libéré en raison du fait que « la reprise du passé », qui s’impose à lui, se limite à la reprise du passé inconnu ; or une réclamation ayant été faite par la victime en 2022, le fait générateur de responsabilité ne peut plus être considéré comme inconnu de l’assuré à la date de la souscription de la dernière police).

            En pareille situation, puisque les conditions de mise en œuvre des garanties successives sont réunies, l’assuré a-t-il le droit de solliciter tous les assureurs ?

            La réponse est non. L’article L. 124-5, alinéa 4, du Code des assurances écarte en effet cette possibilité en énonçant que « la garantie [souscrite en base réclamation] ne couvre les sinistres dont le fait dommageable a été connu de l’assuré postérieurement à la date de résiliation ou d’expiration que si, au moment où l’assuré a eu connaissance de ce fait dommageable, cette garantie n’a pas été resouscrite [en base réclamation] ». En d’autres termes, ce texte impose la mise en œuvre du contrat qui était en vigueur au moment de la réclamation de la victime, à l’exclusion des contrats antérieurs. Ce qui, dans notre exemple, aboutit à mettre à la charge de l’assureur de 2022 la prise en charge du sinistre, les assureurs de 2020 et 2021 ne pouvant être sollicités.

            Attention toutefois, la libération des assureurs antérieurs est subordonnée au fait que la garantie ait été « resouscrite ». Il en résulte que, si le contrat en principe appelé à jouer ne couvre pas le sinistre en raison d’une exclusion qui ne figurait pas dans les contrats antérieurs, il faut considérer que la garantie permettant la prise en charge du sinistre n’a pas été « resouscrite ». Dans ce cas, les assureurs antérieurs pourront être sollicités. Ainsi, toujours dans notre exemple, en supposant que l’assureur de 2022 (normalement désigné pour prendre en charge le sinistre) ait stipulé une exclusion des sinistres résultant du gel des tuiles livrées par l’assuré, alors que les contrats de 2020 et 2021 couvraient ce type de sinistres, l’assuré est en droit de réclamer la mise en œuvre de ces contrats.

            Remarque : seule l’absence de « resouscription » permet de réclamer la mise en œuvre des contrats antérieurs. En revanche, dès lors que la garantie existe bien dans le contrat en vigueur au jour de la réclamation de la victime, ce contrat est applicable, et seul applicable, quand bien même il serait moins favorable à l’assuré que les contrats précédents. Ainsi, toujours dans notre exemple, si le contrat de 2022 couvre bien la responsabilité de l’assuré en cas de gel des tuiles, avec un plafond de garantie fixé à 100 000 euros et une franchise de 10 000 euros, l’assuré sera couvert dans ces conditions. De sorte qu’en cas de sinistre d’un montant de 200 000 euros, il conservera à sa charge 110 000 euros, sans pouvoir réclamer un complément aux assureurs antérieurs, quand bien même les contrats de ces derniers ne comporteraient ni franchise ni plafond. Autrement dit, dès lors que la garantie a été « resouscrite », les contrats antérieurs sont nécessairement écartés et ne peuvent en aucun cas être sollicités, serait-ce à titre complémentaire (V., sur cette question, L. Mayaux, « La durée de la garantie en assurances de responsabilité depuis la loi de sécurité financière du 1er août 2003 : les rayons et les ombres », RGDA oct. 2003, p. 647 et s., n°23 ; « L’étendue de la garantie ‘responsabilité civile’ dans le temps », RGDAmars 2024, p. 70 et s., nos 27 et s.). Suivant le même raisonnement, si l’assureur de 2022 est placé en liquidation judiciaire et n’est pas en mesure, pour cette raison, d’exécuter la garantie dont il est débiteur, l’assuré devra indemniser la victime intégralement sur ses deniers, sans pouvoir solliciter l’intervention des assureurs de 2020 et 2021. (V. en ce sens, avec des faits similaires, Cass. 3e civ., 12 oct. 2022, n° 21-21427 : RGDA nov. 2022, p. 21, note L. Mayaux ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 281, S. Bertolaso).

2) Succession d’une police « en base fait dommageable » et d’une police « en base réclamation ».

            Dans cette situation où un contrat « en base réclamation » succède à un contrat « en base fait dommageable », un chevauchement des garanties est concevable. Dès lors que le fait générateur du dommage s’est produit durant la période de validité de son contrat, l’assureur « en base fait dommageable » est tenu à garantie. L’assureur suivant (dont la police est « en base réclamation » est, a priori, également tenu au titre de la « reprise du passé ».

            L’assuré a-t-il le droit de s’adresser à l’assureur de son choix pour la prise en charge du sinistre ?

            Là encore, la réponse est négative. L’article L. 124-5, alinéa 6, du Code des assurances prévoit en effet que, dans cette situation, « la garantie déclenchée par le fait dommageable […] est appelée en priorité ». De ce texte, il faut déduire que l’assuré est tenu de s’adresser d’abord à l’assureur « en base fait dommageable », mais qu’il conserve le droit, puisque la loi emploie le terme de « priorité » et non « d’exclusivité », de s’adresser à l’assureur « en base réclamation », en cas d’insuffisance de la garantie « en base fait dommageable » (V., sur cette question, L. Mayaux, « La durée de la garantie en assurances de responsabilité depuis la loi de sécurité financière du 1er août 2003 : les rayons et les ombres »,RGDA oct. 2003, p. 647 et s., nos 27 et s.). Dans notre exemple, supposons que l’assureur « en base fait dommageable » a stipulé un plafond de garantie d’un montant de 150 000 euros lorsque la responsabilité de l’assuré est engagée pour cause de gel des tuiles qu’il a livrées. Si un sinistre d’un montant inférieur à 150 000 euros survient, l’indemnisation sera entièrement prise en charge par l’assureur « en base fait dommageable ». Si, et seulement si, le montant du sinistre dépasse ce plafond, l’assuré peut s’adresser à l’assureur « en base réclamation », afin que celui-ci prenne en charge la part du sinistre excédant le montant de la garantie de l’assureur « en base fait dommageable ».

Maud Asselain

Un article signé, Maud Asselain, Maître de conférences en Droit privé, Directrice de l’Institut des Assurances de Bordeaux pour Alteas.

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