L’acquéreur d’un véhicule terrestre à moteur ou d’un navire peut-il bénéficier de l’assurance souscrite par le vendeur ?

         En cas de transmission d’une chose assurée, entre vifs ou pour cause de mort de son propriétaire, s’applique une règle de principe, laquelle prescrit le transfert de l’assurance afférente au bien, à son nouveau propriétaire (c’est-à-dire à l’acquéreur, au donataire, au légataire ou à l’héritier). Ce régime de droit commun, prévu par l’article L. 121-10 du Code des assurances (et auquel nous avons consacré notre précédente chronique), reçoit néanmoins exception en cas de transmission entre vifs – autrement dit, en cas de vente ou de donation – d’un véhicule terrestre à moteur, d’un navire ou d’un bateau de plaisance quel que soit le mode de déplacement ou de propulsion utilisé.

         Dans cette hypothèse, s’applique en effet le régime dérogatoire institué par l’article L. 121-11 du Code des assurances, lequel exclut implicitement le transfert de la police d’assurance à l’acquéreur (ou au donataire) en imposant la suspension du contrat souscrit par l’aliénateur. La règle dérogatoire se justifie. En effet, lorsque le risque assuré est celui de dommages subis ou causés par un véhicule terrestre à moteur ou un navire, l’identité et les qualités du conducteur ou du skippeur habituel sont, de façon évidente, des éléments capitaux d’évaluation du risque et tout changement sur ce point entraîne inéluctablement une modification du risque. Il en résulte que l’on ne saurait imposer à l’assureur, qui garantissait l’ancien propriétaire, de couvrir automatiquement le nouveau.

         Il est logique, en conséquence, que le régime dérogatoire institué par l’article L. 121-11 du Code des assurances prévoit que l’assurance est suspendue et non transmise en cas d’aliénation d’un véhicule terrestre à moteur ou d’un navire (I). Le sort du contrat suspendu (II) dépend alors de la volonté des parties qui peuvent convenir de le remettre en vigueur ou décider (unilatéralement) de le résilier.

1 – Suspension du contrat d’assurance

A) Conditions de la suspension

1) Condition relative aux biens objet de l’assurance 

         La suspension du contrat d’assurance n’a lieu qu’en cas d’aliénation d’un véhicule terrestre à moteur, de ses remorques ou semi-remorques (C. assur., art. L. 121-11, al. 1er) ou d’un navire ou bateau de plaisance quel que soit le mode de déplacement ou de propulsion utilisé (C. assur., art. L. 121-11, al. 5, dans sa rédaction issue de la  Loi  n° 81-5 du 7 janv. 1981).

2) Condition relative à la nature de l’assurance

         L’article L. 121-11 du Code des assurances prescrivant la suspension « du contrat d’assurance » sans autre précision, l’assurance couvrant la responsabilité afférente à l’usage du véhicule (ou du navire) comme l’assurance de choses garantissant les dommages que ces biens pourraient subir, se trouve suspendue du fait de leur aliénation.

3) Condition relative au transfert de propriété

         Le régime spécial ne s’applique qu’en cas d’aliénation. Seule la transmission entre vifs, à titre gratuit ou onéreux, emporte suspension de l’assurance. L’héritier du véhicule (ou du navire) ou son légataire bénéficient en revanche du transfert de la police afférente au véhicule (ou au navire) qu’ils recueillent à la suite du décès de l’ancien propriétaire, l’article L. 121-10 du Code des assurances régissant l’ensemble des cas de transmission à cause de mort.

         L’annulation ou la résolution de l’acte d’aliénation du véhicule (ou du navire) emporte anéantissement rétroactif de la suspension, de sorte que la garantie de l’assureur est réputée n’avoir jamais cessé d’être en vigueur (Cass. 1re civ., 21 févr. 1995 : Resp. civ. et assur. 1995, comm. 140 ; RGAT 1995, p. 303, note J. Kullmann).

         Conformément au droit commun, la preuve du transfert de propriété (et de sa date) est à la charge de celui qui se prévaut de la suspension de l’assurance. L’assuré, qui invoque cette dernière en vue, par exemple, d’échapper au paiement d’une nouvelle prime, doit se soumettre aux règles de preuve instituées par les articles 1359 et suivants du Code civil. Lorsqu’il a pris le soin de rédiger un écrit à l’occasion du transfert de propriété, la date mentionnée dans cet écrit est opposable à l’assureur (conformément à une jurisprudence constante qui estime que les actes d’un débiteur – l’assuré débiteur des primes – sont opposables à ses créanciers chirographaires – notamment l’assureur créancier de ces mêmes primes – nonobstant leur défaut de date certaine : Cass. civ., 11 févr. 1946 : D. 1946, jurispr. p. 389, note M. Chéron). La preuve est libre pour l’assureur, à l’égard duquel l’aliénation du véhicule est un simple fait juridique (Cass. 1re civ., 27 nov. 1970 : RGAT 1971, p. 350, note J. Bigot. – Cass. 1re civ., 5 nov. 1991 : Resp. civ. et assur. 1992, comm. 30). Il demeure que la preuve exigée de l’assureur est difficile à rapporter, qu’il s’agisse d’établir la réalité de l’aliénation (à cet égard, la Cour de cassation a estimé de façon assez curieuse que « le changement de carte grise ne fait pas à lui seul la preuve de l’aliénation » : Cass. 1re civ., 3 juin 1975 : Bull. civ. 1975, I, n° 187 ; RGAT 1976, p. 343, note J. Bigot) ou d’établir la date à laquelle la cession a eu lieu (la date du changement de carte grise ne peut établir celle de l’aliénation, cette formalité pouvant être effectuée tardivement après la cession). En l’absence d’éléments permettant d’établir la date de l’aliénation, la Cour de cassation admet que les juges du fond retiennent une date fictive comme celle figurant sur la lettre recommandée par laquelle l’assuré informe l’assureur de l’aliénation (Cass. 1re civ., 16 mars 1971 : Bull. civ. 1971, I, n° 82 ; D. 1972, jurispr. p. 206, note Cl.-J. Berr et H. Groutel).

4) Condition de délai

         La suspension du contrat d’assurance est subordonnée à l’écoulement d’un délai, l’article L. 121-11 la reportant « au lendemain, à zéro heure, du jour de l’aliénation ». Il s’agissait sans doute, dans l’esprit du législateur, d’éviter les difficultés insurmontables de preuve qui auraient résulté d’une suspension à l’instant même de l’aliénation : dans l’hypothèse d’un sinistre survenu le jour même de la vente du véhicule (ou du navire), les parties en litige auraient été obligées d’établir non seulement le jour, mais également l’heure du transfert de propriété.

         Tant que ce délai n’est pas écoulé, la garantie n’est pas suspendue, ce dont la jurisprudence a déduit que l’assurance souscrite par le vendeur doit, pendant ce court laps de temps, profiter à l’acquéreur, lequel se trouve en conséquence garanti en cas de sinistre, provoqué ou subi par le véhicule, entre le moment de son achat et le soir minuit (Cass. 1re civ., 2 nov. 1966 : D. 1967, somm. p. 41 ; RGAT 1967, p. 336, note A. Besson. – Cass. 1re civ., 25 févr. 1976 : Bull. civ. 1976, I, n° 84 ; D. 1976, jurispr. p. 533, note Cl.-J. Berr et H. Groutel ; RGAT 1976, p. 489, note A. Besson. – Cass. 1re civ., 18 avr. 1989 : Resp. civ. et assur. 1989, comm. 248 ; Bull. civ. 1989, I, n° 151 ; D. 1991, somm. p. 67, note Cl.-J. Berr). Tout se passe comme si, pendant ce délai, l’assurance du vendeur était transférée à l’acheteur. La solution est intéressante pour l’acquéreur qui aurait pris immédiatement possession du bien, sans prendre le soin de le faire garantir dès cet instant par son propre assureur.

5) Absence de condition de forme

         L’article L. 121-11, alinéa 3, du Code des assurances impose à l’assuré d’informer l’assureur de la date d’aliénation « par lettre, message sur support durable ou moyen prévu à l’article L. 113-14 ». Cette formalité, dont l’omission par l’assuré ne peut pas être sanctionnée (depuis la loi n° 89-1014 du 31 décembre 1989 qui a supprimé la possibilité offerte à l’assureur de stipuler une indemnité à son profit dans cette hypothèse), ne conditionne en aucun cas la suspension de l’assurance, laquelle a lieu « de plein droit » (C. assur., art. L. 121-11, al. 1er). L’assureur n’est pas en droit de faire échec à cette suspension automatique, en raison du caractère d’ordre public des dispositions qui la prévoient (C. assur., art. L. 111-2). Il ne saurait, en conséquence, subordonner la suspension à la rédaction d’un avenant ou à une déclaration d’aliénation faite par l’assuré (Cass. 1re civ., 27 avr. 1966 : RGAT 1967, p. 48, note A. Besson).

B) Effets de la suspension

         L’ensemble des effets du contrat d’assurance se trouve suspendu du fait de l’aliénation, de sorte que nul ne peut réclamer l’exécution des droits et obligations qui en sont nés. L’assureur est dispensé de garantir tout sinistre qui surviendrait à compter du lendemain, à zéro heure, du jour du transfert de propriété. La suspension de la garantie est opposable à tous, à l’acquéreur (Cass. 1re civ., 20 janv. 1998 : RGDA 1998, p. 80, note J. Landel) comme aux tiers victimes (Cass. 1re civ., 27 mars 1973 : RGAT 1973, p. 344, note A. Besson). L’obligation au paiement des primes est également suspendue au profit du souscripteur assuré (c’est-à-dire de l’aliénateur). Il en résulte que, lorsque la prime a été acquittée d’avance, l’assureur doit restituer au souscripteur la fraction correspondant à la période séparant l’aliénation de la prochaine échéance de prime. Cette restitution, toutefois, n’aura pas lieu dans l’hypothèse où les parties, qui sont libres de décider du sort du contrat, conviendraient de remettre la garantie en vigueur immédiatement, afin de couvrir un nouveau véhicule (ou navire) acquis en remplacement du bien aliéné.

2 – Sort du contrat suspendu

         La suspension du contrat d’assurance est une situation provisoire. Il appartient aux parties de décider du sort du contrat. Elles peuvent convenir de sa remise en vigueur (A). Chacune d’entre elles peut également prendre l’initiative d’une résiliation. À défaut de manifestation de volontés de la part des contractants, la loi prescrit la résiliation de plein droit du contrat au terme d’un délai de six mois (B).

A) Remise en vigueur du contrat

1) Caractère facultatif de la remise en vigueur

         La remise en vigueur du contrat est une faculté ouverte aux parties et non une obligation. L’assuré qui aurait acquis un véhicule (ou un navire) en remplacement de celui qu’il a aliéné n’est pas tenu de poursuivre ses relations avec le même assureur et, inversement, il ne peut exiger de ce dernier la remise en vigueur du contrat suspendu. Celle-ci n’est possible qu’avec « l’accord des parties » (C. assur., art. L. 121-11, al. 2).

2) Modalités de la remise en vigueur

         L’accord (si accord il y a) peut se manifester dans une forme quelconque. En pratique, c’est l’assuré qui prend l’initiative de proposer la remise en vigueur à l’assureur, lequel l’accepte de façon expresse ou tacite. La jurisprudence fait également application de l’article L. 112-2, alinéa 5 du Code des assurances, de sorte que l’assureur qui garderait le silence pendant plus de dix jours suivant une proposition de remise en vigueur émanant de son assuré serait réputé l’avoir acceptée (Cass. 1re civ., 16 mars 1966 : RGAT 1966, p. 475, note A. Besson), sous réserve toutefois que la proposition de l’assuré soit suffisamment précise, ce qui implique que les caractéristiques du nouveau véhicule soient indiquées à l’assureur, mais non le montant de la prime que l’assuré est prêt à payer pour faire garantir le nouveau bien (Cass. 1re civ., 22 avr. 1992 : JurisData n° 1992-000925 ; Resp. civ. et assur. 1992, comm. 280 ; Bull. civ. 1992, I, n° 126).

Attention : La remise en vigueur, quand bien même donnerait-elle lieu à la rédaction d’un avenant, n’est pas assimilable à la conclusion d’un nouveau contrat. Elle implique seulement « la reprise d’effet » du contrat initial. Il en résulte que l’inexactitude de la déclaration du risque susceptible d’emporter la nullité de la police sur le fondement de l’article L. 113-8 du Code des assurances doit s’apprécier au stade de la conclusion du contrat et non au moment de la remise en vigueur de celui-ci (Cass. 2e civ., 14 juin 2012, n° 11-11.344 : JurisData n° 2012-012784 ; Resp. civ. et assur. 2012, comm. 285, H. Groutel ; RGDA 2012, p. 1009, note M. Asselain).

B) Résiliation du contrat

1) Résiliation unilatérale par l’une des parties

         L’article L. 121-11, alinéa 1er, du Code des assurances accorde expressément aux parties une faculté unilatérale de résiliation. L’assureur comme l’assuré peut imposer l’extinction du contrat à son partenaire. Le second doit manifester sa volonté en usant de l’une des formes prescrites par l’article L. 113-14 du Code des assurances, alors que l’assureur peut exprimer sa décision de rompre le contrat dans une forme quelconque (en pratique, il est fait usage de la lettre recommandée ou de l’envoi recommandé électronique, afin de se ménager une preuve de la rupture du contrat et de sa date). Quelle que soit la partie qui est à l’origine de la résiliation, celle-ci ne prend effet qu’après écoulement d’un délai de préavis de dix jours (C. assur., art. L. 121-11, al. 1er), dont on s’explique mal la raison d’être, car les obligations (de garantie et de paiement des primes) qu’il s’agit d’éteindre sont à ce stade déjà suspendues dans leurs effets, de sorte que leur maintien pendant dix jours supplémentaires ne présente d’intérêt pour aucune des parties.

2) Résiliation de plein droit par l’effet de la loi

         À défaut de remise en vigueur par accord des parties ou de résiliation par l’une d’elles, c’est la loi qui règle le sort du contrat suspendu. Celui-ci s’éteint de plein droit au terme d’un délai de six mois suivant la date de l’aliénation (C. assur., art. L. 121-11, al. 2).

3) Prohibition de l’indemnité de résiliation

         Antérieurement, l’article L. 121-11 du Code des assurances autorisait l’assureur à stipuler une indemnité à la charge de l’assuré en cas de résiliation du contrat à la suite de l’aliénation de son bien (cette indemnité ne pouvait toutefois excéder la moitié du montant de la prime annuelle). Depuis la réforme du 31 décembre 1989, la perception d’une indemnité par l’assureur est expressément prohibée aussi bien lorsque c’est l’assuré qui a pris l’initiative de la résiliation, que lorsque cette dernière intervient de plein droit au terme du délai de six mois (C. assur., art. L. 121-11, al. 4).

Maud Asselain

Un article signé, Maud Asselain, Maître de conférences en Droit privé, Directrice de l’Institut des Assurances de Bordeaux pour Alteas.

WordPress Appliance - Powered by TurnKey Linux